contacter
| |

DEFENSE & SECURITE

La défense française et Emmanuel Macron : à la croisée des chemins ?

Victanis Advisory Services GmbH
2018-10-06
S'inscrire au blog

Les français avaient à choisir le 7 mai dernier entre un nationalisme solitaire ou la possibilité, sous réserve d’une volonté politique affirmée et étayée de moyens, de prendre la tête d’une défense européenne forte capable de répondre au risque terroriste, et d’assurer la défense et la promotion des citoyens et intérêts européens dans un voisinage instable, avec une Russie tentant de compenser une faiblesse économique par une politique d’influence agressive et dans une incertitude plus globale, alors même que les atermoiements américains et la montée en puissance militaire effrénée de la Chine rebattent les cartes de la géostratégie mondiale.

Ce choix de l’électorat français arrive à un moment charnière. Des choix, durs, âpres et nécessaires vont devoir être faits durant la présidence Macron, qui définiront la doctrine française et le modèle de nos forces pour les années à venir.

La France leader de la défense européenne ?

La France dispose encore à ce jour d’une importante autonomie stratégique. Elle est la dernière en Europe à disposer, indépendamment des États-Unis, de moyens de commandement, de coordination et de reconnaissance spatiale, entre autres, qu’elle a, néanmoins, de plus en plus de mal à financer donc à maintenir. Les faits sont là, elle ne peut plus se comporter comme une superpuissance militaire secondaire. Sa puissance militaire étant le principal point d’appui de sa politique étrangère depuis 25 ans.

Peu le réalisent encore mais l’élection d’Emmanuel Macron représente un « shift » à venir de la politique de défense et donc de la politique étrangère de la France.

Le président de la République est un pro-européen favorable à une mutualisation plus forte des outils de défense des états membres, défense compatible avec l'OTAN. L’alliance étant, de son point de vue, l’un des éléments fondamentaux d’une UE et une zone euro capable de se défendre et d’assurer sa sécurité donc de renforcer sa stabilité et sa résilience.

C’est donc une occasion unique, et probablement la dernière, pour la France de bâtir puis mener une politique de défense commune. Cette européanisation de la politique de défense française permettra, peut-être, une meilleure collaboration avec des puissances européennes secondaires (Pays Baltes, Hollande, Danemark, Pologne) à l’heure où les signaux contradictoires envoyés par les États-Unis inquiètent les plus petits membres de l’OTAN et où l’Europe se cherche désespérément une colonne vertébrale militaire crédible capable de crédibiliser une « Défense européenne » plus sujet à (auto) dérision qu'à cohésion. Cela nécessitera de la France une approche plus collaborative fondée sur le partage de compétences, de la formation, d’aides militaires et du déploiement de moyens.

L’opportunité pour la France est d’autant plus grande au vu de la faiblesse actuelle de l’outil de défense allemand et le retrait du Royaume-Uni de l’Union permettant d’en finir avec l’opposition résolue de ce dernier à la mise en place d’une défense européenne.

La volonté présidentielle de saisir le futur pouvant s’échouer sur la réalité du présent et l’opposition possible de l’État-Major, de la haute administration et de l’écosystème politique et industriel de défense à toutes stratégie visant une coopération opérationnelle et industrielle au sein de l’Union.

La situation actuelle

Depuis 25 ans, la France use et abuse de son outil militaire pour compenser sa faiblesse économique. Bras armé de l’Union Européenne, elle a compté quasi uniquement sur son statut de première puissance militaire de l’Union pour compenser sa faiblesse relative face à l’Allemagne qui usa, elle, de sa puissance économique et industrielle comme principal vecteur de puissance.  

La dernière décennie a vu cette dynamique s’accélérer et la France s’engager sur divers théâtres d’opération extérieurs notamment la Côte d’Ivoire, le Centre-Afrique, le Sahel, la Syrie et l’Irak démontrant sens cesse les capacités de son principal levier de puissance. L’opération malienne fut, à cet égard, tout autant une nécessité opérationnelle qu’une parfaite démonstration de capacités miliaires que la France est la seule à détenir en Europe.

En résumé la France est aujourd’hui la puissance militaire principale dans l'union de 27 nations avec un siège du Conseil de sécurité des Nations-Unis, une dissuasion nucléaire indépendante, une influence visible au sein de l’OTAN, des forces configurées pour les opérations extérieures et une BITD à large spectre ayant bénéficié, ces cinq dernières années de notables succès à l’Export.

Mais cette incessante activité militaire a poussé les Armées dans leurs derniers retranchements, épuisant les hommes et l’équipement. Ces deux dernières décennies mettant également en exergue la faible capacité de la France a renouveler ses plateformes et ses équipements en nombres suffisant. Citons en exemple la réduction du nombre de frégates de premier rang, les difficultés à lancer les études nécessaires au renouvellement du seul porte-avions de la Royale, le taux de disponibilité catastrophique des hélicoptères ou le faible nombre de Leclerc opérationnels.

A cela s’ajoute, en ce moment, les coûts humains et financiers de sécurité intérieure mettant sous pression un budget qui n’en a pas besoin. Le gouvernement d’Emmanuel Macron devra donc souscrire à une augmentation des dépenses de défense et encourager, afin d’obtenir les effets de série nécessaires à la réduction des coûts de production, une plus grande coopération industrielle avec les alliés européens et les membres de l'OTAN. Cette prospective se heurtant aux réalités de membres européens de l’OTAN, utilisateurs forcenés de matériels américains (et des restrictions d’emplois pouvant aller avec).

Défis et menaces

La France, de facto, en guerre doit faire face à 4 principaux défis :

  1. Le terrorisme et le risque encouru par les français en métropole et les menaces sur les intérêts français à l'étranger. Risque sécuritaire en métropole et militaire en Afrique et sur les théâtres d’opération, en Irak et au Sahel

  2. Le Brexit qui a jeté un voile d’incertitude sur l'avenir des accords de Lancaster House (Traité bilatéral de défense entre la France et le Royaume-Uni signé en 2010). Ce traité est la plus importante collaboration militaire et industrielle entre deux pays d’Europe. Même si les deux pays ont fortement exprimé leur volonté de poursuivre la coopération, il existe une incertitude sur la résolution britannique à le poursuivre, incertitude que vient renforcer ce renouveau européen de la nouvelle administration française et notamment un soutien marqué à la refondation de l’Europe et au renforcement d’une défense européenne.

  3. Le positionnement de la Russie qui, depuis l'annexion de la Crimée et la déstabilisation de l'Ukraine, poursuit une politique de réarmement intensif et multiplie les provocations par et l'utilisation suspectée de cyberattaques visant à désorganiser les processus électoraux des démocraties occidentales.

  4. Le retour de l’ « America First » porté par le président des États-Unis qui entraine une incertitude sur les garanties stratégiques des États-Unis à l’égard de l'Europe

Le président a trois options pour relever ces défis

  1. Nous pouvons continuer à agir seul. Cette politique nous verrait poursuivre autant que possible notre politique militaire et industrielle actuelle en tentant de maintenir une BITD à large spectre et une politique de soutien à la R&D portée et coordonnée par la DGA comme c’est actuellement le cas. Politique que la plupart des pays européens ne partagent, pour le moment, pas ni dans ses priorités stratégiques (OPEX) ni dans sa volonté industrielle. Mais avec un budget de la défense de 32.7 milliards d'euros ou 1,80 % du PIB, à l'exclusion des pensions, il est peu probable le pays puisse se permettre d'agir indépendamment encore très longtemps sauf à avoir la technologie sans avoir les moyens de la déployer en nombre suffisant.

  2. Alternativement, nous employons tous nos moyens et notre influence à la création d’une défense européenne solide capable d’intervenir là où l'OTAN choisit de ne pas s'engager. Cette action résolue de la première puissance militaire européenne à la création d’une politique de défense commune (militaire et industrielle) pourrait permettre à ce concept presque aussi vieux que l’Union, de prendre enfin corps. Il faudrait pour cela une politique d’investissement et de soutien collective à la R&D et à l’industrie et la mise en place d’une grand commandement militaire européen doté de réels moyens et apte à harmoniser les différentes doctrines d’emplois des membres. Aussi tentante que soit cette idée, il faudra pour cela convaincre les Armées, les industriels et surtout les français eux même dans une échelle de temps courte (5 ans) avant même de commencer à convaincre nos alliés de l’Union.

  3. S’appuyant sur les résultats encourageants de Lancaster House, le Président pourrait engager une série de partenariats bilatéraux ou trilatéraux avec les principales puissances militaires de l’Union (Allemagne, Suède, Italie…). Ces traités en dehors du cadre européen mais avec des pays membre de l’Union pourrait s’avérer extrêmement payante à moyen terme en privilégiant les pays ayant déjà des outils militaires à compétences larges et des industries locales capables de partenaires avec leurs alter-égos français. Elle construirait les liens militaires et industriels avancés avec nos principaux tels que l’Allemagne, Italie, Espagne et la Suède, optimisant l’influence française tout en évitant les interminables débats et procédures propre au fonctionnement de l’Union. Cette dernière option permettant de poursuivre nos liens militaires et industriel avec la Grande Bretagne, permettant de la conserver dans l’ère d’influence européenne en l’associant à une défense et une sécurité d’un ensemble avec lequel elle doit continuer de travailler et de commercer et à la France de réduire les risques d’un partenariat qui à démontrer sur des programmes précédents les faiblesses ou les carences britanniques à tenir leurs engagements.

Cette troisième option permettrait de développer un programme de défense à long terme avec l'Allemagne, option difficile à concevoir il y a encore quelques années, et d’engager Berlin à assumer sa part de la défense européenne et les coûts qui y sont associés.

Quel que soit le choix présidentiel et l’option retenue, elle demandera de la constance et du temps. Elle ne fonctionnera seulement que si Berlin accepte d’infléchir sa politique européenne et prendre en compte les vues de Paris, seul détenteur de l’avenir de la défense de par son statut de première puissance militaire et nucléaire de l’Union et si Paris adopte enfin les réformes économiques et sociales nécessaires à un redémarrage réel de son économie et de sa compétitivité.

Face à des Armées épuisées et ayant servies depuis trop longtemps de variable d’ajustement budgétaire, le Président devra convaincre en tenant ses engagements d’augmentation du budget de la défense à 2 % du PIB et être attentif à ne pas sacrifier les capacités françaises sur l’autel de la coopération européenne. Il devra également être prudent sur ses engagements pour une plus grande intégration des outils de défense de l’Union afin d’éviter de décevoir tout à la fois nos partenaires et les citoyens.

Sources: Rapport "Crunch Time — France and the future of European defense publié par “the Friends of Europe think tank on April 25”. Programme présidentiel d’Emmanuel Marcron – En Marche

Eric Lambert
A propos Eric Lambert

Abonnez-vous à notre blog

Recevez en exclusivité nos dernières publications