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AERONAUTIQUE & TRANSPORT

La maritimisation : pourquoi, comment ?

Victanis Advisory Services GmbH
2020-03-31
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L’histoire de la Flotte française a traversé les siècles et les kilomètres à tel point que l’on ne saurait réduire cette dernière à sa seule portion sur le sol européen. Elle a dû se doter au fil du temps des moyens nécessaires à la défense de l’Etat, à la mise en oeuvre de la dissuasion et à toutes les autres missions qui lui incombaient et lui incombe toujours, dont celle prioritaire de la sécurité.

Hors l’hexagone, force est de constater son implantation en divers îles et territoires du monde, depuis l’hémisphère Nord (DOM-TOM) jusqu’à l’hémisphère Sud (Nouvelle-Calédonie) en passant par l’Antarctique et les terres australes. Voyageant de part et d’autre du globe, en tout, une bonne vingtaine de bases stratégiques sont comptabilisées et un constat net : la Marine française est présente sur tous les océans. De quoi créer de vastes ressources pour un état « archipel ». 

En effet, avec une telle emprise sur les 4 continents, la France ne saurait être appelée autrement qu’une nation insulaire. La question demeure : comment un tel espace peut-il être contrôlé ? Le déploiement maritime de sa défense est-il à la hauteur de l’ambition géographique ? De quel matériel la Flotte dispose-t-elle ? Quelles sont ses missions ?

Forte de nombreux équipements, la Marine française intègre le deuxième poste de dépenses du budget général de l’Etat (à savoir 11,3 % du budget total). Pour autant, il s’agit de regarder précisément l’état de ses ressources en comparaison avec la grandeur du territoire qu’elle doit couvrir. 

Deux composantes majeures définissent la Flotte : la force océanique et le groupe aéronaval (et aussi deux grandes inventions du XXème siècle : le sous-marin et le porte-avion) mais elle dispose aussi de forces amphibies, de frégates, de bâtiments de souveraineté et de forces aéronautiques.

1- La force océanique : entre dissuasion et stratégie

Appelée force océanique stratégique (FOST), celle-ci est actuellement constituée de :

  • Quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) dont chacun est équipé de seize missiles balistiques M45 (ou M51 pour celui baptisé Le Terrible). Ils ont pour missions la stratégie de dissuasion et la possibilité d’exécuter à tout moment une frappe nucléaire de riposte. Le but : dissuader les grandes menaces et projeter la puissance. La France, par de tels équipements, fait partie des rares nations à posséder une si grande force de dissuasion.
  • La FOST possède aussi six sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire (SNA). Ils ont également pour mission la stratégie de dissuasion, celle-ci étant complétée par des fonctions de prévention, de projection et de protection. Au niveau politique, l’objectif reste d’anticiper les crises. Pour cela, les sous-marins nucléaires d’attaque constituent une priorité : furtifs, à capacité d’action au loin quasi-illimitée, ce sont des systèmes stratégiques employés aussi bien pour le renseignement que pour le soutien du porte-avions ou les opérations spéciales.
  • La force océanique est également constituée de quatre stations de transmissions. Ces dernières sont utilisées par les forces sous-marines pour transmettre des informations et des ordres aux sous-marins.

Le groupe aéronaval : un ensemble cohérent

Symbole de puissance militaire et apanage d’un nombre très réduit de nations, le groupe aéronaval forme un instrument de combat complet et autonome. Centré sur le porte-avions Charles de Gaulle en service depuis 2001, le groupe constitue un outil majeur d’intervention militaire et diplomatique de la France à l’échelle mondiale. 

Son groupe aérien embarqué est composé de deux flottilles de RAFALE (portant le nombre de RAFALE à 30), complétées par une flottille de Super-Etandard (27 en tout) et 3 avions de guet aérien embarqué nommés Hawkeye. Le groupe comprend aussi deux frégates de défense aérienne, deux frégates de lutte anti-sous-marines, une frégate de type La Fayette, un SNA et un pétrolier ravitailleur.

Outil cohérent, le groupe aéronaval (GAN) est capable de se déployer rapidement sur un théâtre d’opération en profitant de la totale liberté de navigation maritime et aérienne. Grâce à son état-major spécialisé et à ses moyens de communication et de commandement, le GAN peut planifier et conduire une campagne aérienne à la mesure de son groupe aérien embarqué. Il se place ainsi en véritable outil de dissuasion, d’intervention et de diplomatie. En outre, sa mobilité reste un atout déterminant.

Actuellement, le Charles de Gaulle constitue le seul véritable porte-avions de l’Union européenne dans l'attente des 2 porte avions britanniques. 

Le groupe amphibie : protéger les forces 

Disposé sur trois bâtiments de projection et de commandement (BPC) : le Mistral, le Dixmude et le Tonnerre et sur une transport de chalands de débarquement (TCD) : Sirocco, les forces amphibies disposent aussi d’installations médicales lourdes pour conduire des missions sanitaires de grande envergure (dont des opérations médicales sensibles et le traitement de grands brûlés). 

Le groupe amphibie reste essentiel dans les opérations de projection de forces. Il peut embarquer et mettre en oeuvre un poste de commandement de forces interarmées pour la conduite d’une opération nationale, voir internationale.

Les frégates : outils essentiels à la protection

La Marine française possède deux types de frégates :

  • Les frégates de surveillance (6 au total) : elles sont des moyens de souveraineté et de réponse aux menaces faiblement armées.

  • Les frégates de premier rang (16), conçues pour faire face aux menaces importantes, et spécialisées dans les domaines de lutte. Parmi elles agissent 2 frégates de défense aérienne Horizon et 2 frégates antiaériennes qui escortent des forces aéronavales et amphibies nationales et interalliées. Ces frégates mettent en oeuvre un système d’armes anti-aérien bâti autour de la famille des missiles ASTER, premiers bâtiments à pouvoir tirer les missiles anti-navires EXOCET Mer/Mer 40 blocks III. Agissant au profit des opérations interarmées, ces frégates assurent aussi la coordination des actions de défense aérienne au-dessus de territoires à partir de la mer.

Parmi les frégates de premier rang on trouve aussi 7 frégates anti-sous-marines ou de lutte sous la mer qui permettent de faire face aux menaces des sous-marins. Enfin, 5 frégates de type Lafayette ont pour but de faire respecter les intérêts nationaux sur les espaces maritimes outre-mer. Elles participent aussi au règlement des crises hors d’Europe. Dotées d’hélicoptères de lutte anti-navire PANTHER, elles peuvent être amenées à assurer le soutien d’une force d’intervention, la protection du trafic commercial, des opérations spéciales ou encore des missions humanitaires.

Bâtiments polyvalents et adaptables, les frégates assurent la sécurité de la force stratégique océanique tout en accompagnant, escortant, protégeant les unités précieuses telles que le porte-avions ou les bâtiments de projection et de commandement. En outre, elles répondent aussi aux engagements liés aux accords de défense (notamment avec les pays du Golfe) et peuvent être déployées pour des durées de plusieurs mois près des zones de crises potentielles. Outils essentiels à l’anticipation des crises par l’acquisition de connaissances, elles ont vocation à protéger les forces globales et à participer au dispositif permanent de prévention. Elles sont capables d’agir en plusieurs lieux avec force et précision au large des côtes métropolitaines, en haute mer, outre-mer et partout où l’action de la France est requise. Leurs capacités sont essentielles quant à la surveillance des espaces maritimes. Celles-ci se complètent par des forces de guerre des mines comprenant onze chasseurs de mines équipés de matériel nécessaire à l’identification d’engins posés sur le fond et à leur destruction.

Les bâtiments de souveraineté : de précieux soutiens

Composés de frégates, les bâtiments de souveraineté regroupent aussi des patrouilleurs de haute mer (19 au total : 9 avisos, 5 P400, 5 patrouilleurs de service public), des bâtiments de soutien logistique et de ravitaillement (au nombre de 4 : 3 bâtiments de commandement et de ravitaillement et 1 pétrolier ravitailleur), des bâtiments de transport léger (3).

En tout, une vingtaine de bâtiments de souveraineté s’attachent à des missions de sauvegarde maritime. Ils surveillent les espaces océaniques et les ZEE (zones économiques exclusives), ont des missions de contrôles de police et de contrôle des pêches, opèrent outre-mer et dans les zones à risques limités. Les bâtiments de soutien quant à eux ont pour fonction de ravitailler en combustibles, munitions, vivres et rechanges tout au long des missions. Trois d’entre eux ont une capacité de commandement et peuvent accueillir un état-major embarqué.

Les forces aéronautiques : entre mer et terre

Restent les forces aéronautiques dont la composition n’est pas négligeable : outre le Groupe aérien embarqué (cf. Le GAN) elles disposent de 56 avions de chasse et de guet aérien, 31 avions de patrouille maritime (basée à terre) et 58 hélicoptères de combat et de service public. Leur mission : agir le plus rapidement possible depuis les navires pour prévenir les menaces.

Grâce à tous ces moyens, la Flotte peut assurer les cinq missions stratégiques définies par le Livre Blanc* :

  1. La connaissance : anticipation qui contribue au recueil du renseignement lors des opérations, des exercices ou des escales. Celle-ci révèle les capacités de défense du pays visité et a pour conséquence de mieux appréhender la stratégie de défense de la France en mer.

  2. La dissuasion : avec 90% des têtes nucléaires françaises et une force océanique stratégique, la Marine, grâce à ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, à de quoi dissuader l’ennemi.

  3. La prévention : la Flotte lutte pour éviter l’apparition ou l’aggravation de menaces.

  4. La protection : dans un contexte d’internationalisation où le nombre de ressortissants français à l’étranger s’accroît, protéger reste l’une des missions les plus importantes notamment contre les attaques terroristes ou les prises d’otage à terre ou sur des navires. Egalement pour tout ce qui concerne les infrastructures d’intérêt national.

  5. L’intervention : la Marine dispose de forces navales qui peuvent parcourir sans contrainte diplomatique jusqu’à 1000 km par jour. Elle projette une grande puissance par sa capacité d’intervention.

*Publié le 17 juin 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale définit la stratégie globale de défense et de sécurité de la France et adapte la politique de défense et de sécurité nationale au nouvel environnement géostratégique. A la veille des cérémonies du 14 juillet 2012, le président de la République François Hollande a annoncé sa décision de lancer la préparation d’un nouveau Livre blanc confié à M. Jean-Marie Guéhenno, Conseiller maître à la Cour des comptes. La commission achèvera ses travaux à la fin de l’année 2012.

Aux équipements s’ajoutent les marins, 35 000 en 2012 (19,9% des effectifs de la réserve opérationnelle). Comme se plait à le dire l’Amiral Edouard Guillaud, chef d’Etat-major des armées, dans un rapport du Sénat publié le 17 juillet 2012 : « les effectifs de la marine française tiennent dans un demi stade de France ».

Pour autant, la France garde des équipements de grande envergure avec au total un porte-avions et son groupe aérien embarqué, quatre bâtiments amphibies dont trois BPC, une vingtaine de frégates et de patrouilleurs, une force de guerre des mines, des sous-marins nucléaires d’attaque ou lanceur d’engins et une aéronautique navale complète (aviation de chasse, de patrouille maritime, hélicoptères). 

Ainsi, la Marine française a de quoi faire des jaloux et se plaçait en 2011 parmi les cinq plus grandes marines du monde. Reste que la mondialisation a accru l’importance stratégique des enjeux maritimes. L’économie aussi implique un rôle et une concurrence accrus des états en mer. 2013 devrait voir arriver des livraisons parmi lesquelles 1 aéronef spécialisé dans le recueil du renseignement électromagnétique, 2 avions de patrouille maritime et 13 réseaux navals RIFAN étape 2.

Mais cela sera-t-il suffisant pour assurer les missions de soutien des forces (accompagnement de force aéronavale et de sous-marin), de soutien de région (remorquage d’engins, ancrages, relevages…), de sauvegarde maritime (sauvetage, assistance à la protection des biens, protection de l’environnement, lutte contre les pollutions maritimes…) ?

Article connexe - Maritimisation de la défense française, une réalité depuis 10 ans

2- L’évolution des missions sur les 10 ans à venir

En 1969, à Brest, le général de Gaulle avouait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des Etats chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources… ». Il semble que nous soyons arrivés à ce point charnière où les zones économiques exclusives (ZEE) deviennent de plus en plus convoitées et où les missions de la Marine française sont à repenser et à réévaluer.

Si la France veut conserver son influence dans le monde, elle doit conserver sa maîtrise des technologies de la mer et sa présence sur toutes les mers du globe, également augmenter ses budgets navals d’équipements, de recherche et développement. Ces derniers ont considérablement diminué si on les compare à ceux des pays émergents comme la Chine. Pendant qu’elle augmente son budget de 57%, nous réduisons le nôtre de 1,2%. Comment donc entrevoir une évolution sur les 10 ans à venir ? 

Une utilisation plus intensive des espaces maritimes et une présence accrue sur les ZEE

Les missions de la Marine française à moyen et long termes demeurent décisives dans sa capacité à faire face aux nouveaux enjeux maritimes. Le rapport sénatorial 674 paru le 17 juillet 2012 le dit clairement et met à charge la responsabilité de l’Etat: « Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 n’a pas bien pris en compte l’importance stratégique des océans. » Il se demande même si ce Livre blanc n’a pas été une occasion perdue : « Force est de constater que la dimension stratégique des océans et leur importance pour la France ont été sous-estimés. » Le rapport relève une certaine « omission » quant aux perspectives maritimes et navales.

Conséquences : les océans ne seraient pas assez exploités autant dans le règlement des conflits que dans la libre circulation des personnes. D’autre part, nous ne serions pas assez au fait de notre dépendance à l’égard des matières premières.

En somme, nous serions peu compétitifs à l’égard des ressources et des progrès technologiques, peu à même de traiter comme il se doit, au XXIème siècle, les thèmes fondamentaux du réchauffement climatique, des énergies maritimes ou encore des extractions sous-marines.

A l’évidence, le défi des 10 ans à venir pour la Flotte française passe par un renouvellement de la stratégie maritime dans les DOM-TOM et les ZEE. Il convient de réévaluer l’importance de nos territoires et d’y consacrer les moyens nécessaires pour une maîtrise permanente des approches maritimes, matérialiser la souveraineté française, participer à la protection et à la sauvegarde des personnes et des biens, à la sécurité et à la sûreté maritimes, à la protection de l’environnement marin et des ressources maritimes.

L’enjeu est de taille : sans « maître à bord » les îles et les territoires des pays finissent par être pris et occupés. Selon le professeur Hervé Coutau-Bégarie, auteur de “Le meilleur des ambassadeurs, théorie et pratique de la diplomatie navale” (éditions Économica) : « protéger les ZEE est la mission la plus capitale de la diplomatie navale. » Le fait est que le patrimoine français s’élève à plus de 11 millions de km2, ce qui l’amène à la deuxième place dans l’échelle des ZEE de la planète. Il est toutefois clairement stipulé dans le Montego Bay de 1982 que ce patrimoine n’a de valeur que si un « blocus » est imposé par l’Etat aux utilisateurs extérieurs.

Dans ce cas, ne faut-il pas être à la hauteur de ses ambitions ? Une chose est sûre : la valeur des ZEE ne repose que sur le principe que l’Etat est la seule autorité compétente pour délivrer les permis nécessaires pour l’exploitation des ressources présentes en mer. Il faut donc être à même de pouvoir contrôler toutes les ressources présentes dans les mers. Minéraux, fossiles, pétrole, eaux poissonneuses, nickel, gaz… La France possède d’incroyables richesses qui forment une grande partie de l’avenir des industries primaires du pays. Pourtant, 500.000 hommes d’une Armée de Terre ne peuvent empêcher les pillages, l’annexion, la sécurité, globale ou les prises forcées d’indépendance.

La responsabilité revient naturellement à la Marine et pour cela il s’agit en quelque sorte de payer le prix, donner des moyens, réorganiser les forces.

Une réorganisation des forces et des effectifs pour une Marine plus combattive 

Le XXIème siècle observe une maritimisation accrue du monde, c’est indéniable. De nombreux rapports récents l’attestent. Une nouvelle cartographie des forces, une multiplication des missions liée à l’augmentation des acteurs en mer et du niveau des menaces met sous tension les forces navales. Nul doute qu’une Flotte doit être équipée en conséquence, et les moyens français seraient désormais sous le seuil de suffisance. Cette situation s’expliquerait notamment par des retards dans le renouvellement de ses bâtiments.

En effet, faute de finances, la modernisation des équipements a été étalée dans le temps et le format réduit. Le bilan du rapport sénatorial 674 est sans appel : « incapacité à intervenir en haute mer et à y employer la force en zone maritime en Guyane de 2016 à 2018 (voire davantage) », « incapacité gravement préjudiciable à la préservation de la souveraineté, de la ressource halieutique, et à la lutte contre les trafics illégaux dans une zone économique soumise à la pression des pillards étrangers », « forte dégradation des capacités de surveillance et d’intervention en haute mer en zone maritime sud de l’Océan indien à l’horizon 2015 », « rupture capacitaire majeure dans le Pacifique sud engendrée par le non-remplacement de 2015 à 2018, voire 2020 des avions de surveillance maritime Gardian basés à Papeete et Nouméa. »

Des constats déjà très éloquents. Le besoin en réorganisation des forces est criant. Résultat : les années 2015 à 2019 apparaissent particulièrement critiques. Le rapport prévoit que l’impact se fera sentir progressivement, d’abord d‘une façon soutenable jusqu’en 2015 (la capacité en patrouilleurs baissera de moins d’un tiers), puis de plus en plus difficilement. « Il existe même un risque de rupture totale » en cas de non livraison du premier Batsimar envisagée en 2018. Conclusion : de nouveaux programmes d’équipements sont devenus indispensables.

Même le projet de loi de finances 2013 explique : « parce qu’ils n’étaient pas prévus par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, il devient urgent de lancer rapidement les programmes d’équipement destinés aux forces de souveraineté. » Cette loi prévoit de remplacer les Gardian et les Falcon F50M par un programme d’avions de surveillance et de patrouille maritime AVISMAR.

Il met aussi en priorité deux programmes de renouvellement complet de toute une gamme de navires : d’abord le programme des bâtiments multi-missions (B2M) qui visent à remplacer les bâtiments de transport léger (BATRAL) et celui du patrouilleur hauturier du futur ou BATSIMAR (bâtiment de surveillance et d’intervention maritime) visant à remplacer les P400. 

Reste l’enjeu des effectifs. Le format des forces a été réduit à contre-courant. Alors que les enjeux sont considérables, la présence militaire a beaucoup diminué dans les territoires ultramarins les 10 dernières années. Le Livre blanc de 2008 stipule même que « les forces de souveraineté ont vu leur format réduit au niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites afin de laisser plus de place aux moyens de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile. » 

La réorganisation prévue a pour objectif de ramener les effectifs de 10 644 personnes en 2008 à 8234 en 2020, soit une réduction de 23%. Comment, dans ce cas, assurer les fonctions maritimes ? La solution de l’externalisation fait son chemin. L’État n’a pas vocation à exercer des activités qui ne font pas partie de son coeur de métier et qu’il peut donc déléguer, comme l’habillement des forces de sécurité, le gardiennage et l’entretien des bâtiments. Ces décisions d’externalisation font l’objet d’un arbitrage économique pour que l’État en retire un véritable gain. Il peut, en outre, légitimement se retirer de certaines activités déjà assurées par le secteur privé… 

Il semble que de très nombreuses missions aient déjà fait l’objet d’un recentrage et d’un meilleur ciblage.

Une montée en puissance des pays émergents et notamment de la Chine

Fragilisée, voire affaiblie par des capacités et des ressources réduites, la Flotte française se retrouve pourtant face à un constat désarmant : l’importance stratégique des océans et les opportunités offertes par les mers n’échappent pas aux puissances émergentes.

Les enjeux se corsent de plus en plus, ils sont devenus des éléments essentiels des doctrines stratégiques de certains pays en voie de développement. Parmi eux, le plus menaçant : la Chine. Les chiffres parlent pour eux-mêmes surtout pour la flotte de guerre : 225 000 hommes, 58 sous-marins dont 6 nucléaires, plus de 50 frégates, au moins 27 destroyers, plus de 180 navires amphibies et 81 navires de guerre des mines…

La première force en Asie et un bond quantitatif impressionnant : 170% d’augmentation du budget de l’armée sur la période 2002-2011. Elle est la Marine qui investit le plus dans le monde avec notamment la mise en chantier d’un deuxième porte-avions totalement nouveau mais aussi de missiles balistiques anti-navires, de frégates ultra-modernes, et de sous-marins. De quoi faire peur…

Et nous ne sommes pas en reste : le dernier Livre blanc sur la Défense chinoise montre que « la Marine chinoise veut conduire des opérations dans des mers lointaines et améliorer ses capacités de dissuasion stratégique et de contre-attaque. » Par ailleurs, le China’s National Defence (rapport paru en 2010) prévoit un développement sans précédent des capacités navales.

Il est d’ailleurs programmé en trois phases :

  1. D’abord la maîtrise des eaux côtières délimitée par la chaine d’îles allant des Kouriles à Bornéo et en passant par Taiwan. Ensuite, le développement de l’accès aux grandes profondeurs océaniques qui seules permettent une mise en oeuvre efficace de leur dissuasion, la mer de Chine étant peu profonde. Pour finir, une troisième phase qui veut pré-positionner la marine sur tous les océans du globe à l’horizon 2050.

  2. Ambition démesurée ? La volonté chinoise est claire : maîtriser les mers adjacentes dans un premier temps, puis disposer d’une capacité de contrôle de ses voies de communication maritimes. Le pays, resté longtemps en autarcie, a fait le choix de l’ouverture et de la dépendance accrue à l’égard de ses approvisionnements énergétiques et alimentaires. Son objectif : acquérir des bases navales tout au long de l’axe Chine-Moyen-Orient. Nul doute qu’il va falloir faire face à une telle montée en puissance.

  3. La stratégie militaire de la France doit donc sans doute s’accompagner d’une stratégie industrielle de valorisation du secteur maritime et d’une stratégie diplomatique européenne en faveur d’un modèle maritime international responsable. Le renouvellement de ses moyens, à commencer par son matériel, paraît crucial pour les dix prochaines années.

3- La nécessité de créer des effets de classe

Si la marine doit faire face à des trous capacitaires de plus en plus critiques, elle cherche par ailleurs à moderniser ses équipements et à les optimiser.

Renouveler les classes des forces navales apparaît fondamental pour évoluer avec le temps et les nouveaux enjeux du monde. C’est ce que prévoit la loi de programmation (LPM) pour les années 2009 à 2014 pour ce qui concerne la flotte de surface. A commencer par les FREMM.

Appelées à devenir la véritable épine dorsale de la marine, les frégates européennes multi-missions (FREMM) visent à remplacer les frégates de premier rang actuellement en service et notamment celles des classes F67 / F70 ASM et FAA, ces dernières étant remplacées dans leur rôle par les 2 « frégates » de classe Horizon. En mars 1991, les marines françaises et britanniques identifièrent un besoin commun pour de nouveaux navires antiaériens qui donna naissance en 1993 au programme frégate Horizon auquel s’était joint la marine italienne.

Le programme était ambitieux puisque potentiellement 22 navires pouvaient être construits (12 pour la Royal Navy, 4 à 6 pour l’Italie et 4 pour la France) mais finalement l’Angleterre s’est retirée d’une collaboration innovante mais complexe.

Ajouté à des contraintes budgétaires fortes, 2 de ces puissants batiments seulement furent mis en service en France. 

Rester à la pointe de l'innovation pour dominer

Aujourd’hui les FREMM représentent un nouvel élan national et tout autant européen. Elles sont une classe de frégates furtives de 2e génération développée et produite en partenariat avec l’Italie. Si la compétition est rude entre les pays, elle les amène parfois à s’unir pour développer de nouvelles classes, des navires à la pointe de la modernité. La Marine française en armerait 11 (initialement 17 nombre minimum pour assurer l’intégralité des missions conduites par la Flotte1) de 2012 à 2022 en versions « anti-sous-marines » (ASM), pour remplacer les 9 frégates de classe Tourville (type F67) et de classe Georges Leygues (type F70) encore en service.

Les deux frégates restantes, de type FAA (frégate de défense aérienne), devront quant à elles remplacer les deux bâtiments de classe Cassard (type FAA 70). L’objectif du programme FREMM parait clair : renouveler la composante frégate de la Marine nationale par acquisition de frégates de la classe des 6 000 tonnes. Elles permettront à la France d’apporter au sein d’une coalition européenne des capacités déterminantes pour la maîtrise du milieu aéro-maritime et pour la frappe dans la profondeur. Elles disposeront d’un système de combat optimisé pour fonctionner avec un équipage réduit (l’équipage sera constitué de 94 personnes là où une frégate de même tonnage en nécessite 240), et disposeront d’une réelle évolutivité vers une capacité future d’action multi-plates-formes.

La mise en service des FREMM devrait marquer un renouveau considérable pour la France et sa marine.

Bonne nouvelle : depuis le 18 décembre 2012, l’Aquitaine est en état de fonctionnement. Elle a reçu le satisfecit du major général de la Marine après une qualification opérationnelle réussie.

Concernant la composante guerre des mines, les 11 chasseurs de mines tripartites arrivent aujourd’hui au dernier tiers de leur temps de service et devraient être renouvelés par un système de lutte anti-mines futur (SLAMF) qui reposera sur des drones de surface et sous-marins, et sur des bâtiments base. Ce projet fait l’objet d’une coopération dans le cadre d’accords franco-britanniques. Un premier prototype devrait voir le jour en 2016 

La flotte logistique, quant à elle, sera renouvelée par un parc de quatre bâtiments de soutien logistique polyvalents, un programme baptisé FLOTLOG livrable en 2018. 

Côté patrouilleurs, une nouvelle classe devrait apparaître à partir de 2017. Dans le cadre du projet Bâtiments de surveillance et d’intervention maritime (BATSIMAR), la Marine française songe à la succession des P400. Elle souhaite des navires simples et robustes, d’un plus fort tonnage, une meilleure tenue à la mer, une plus grande autonomie et une capacité d’emport d’hélicoptère. Un premier échelon de cinq unités sera livré d’ici 2016. Les objectifs sont multiples : répondre aux besoins en matière de lutte contre les trafiquants de drogue, les pirates et les terroristes opérant en mer. Pour faire face à ces besoins, l’Etat a notamment décidé de remplacer trois bâtiments de transport légers (BATRAL) par des B2M (bâtiments multi-missions). Ils disposeront de bonnes capacités de manoeuvrabilité et seront équipés d’une grue.

Pour ce qui concerne les avions de patrouille et de surveillance maritime, certaines classes vont être remplacées. 18 avions Atlantique 2 seront rénovés et 4 avions verront leur utilisation limitée aux missions de surveillance. Un format futur de 18 avions a été retenu avec un début de livraison en 2018. Dans l’intervalle, 4 FALCON 50 à usage gouvernemental, sont en cours de transformation pour assurer des missions de surveillance. En matière de sauvegarde maritime, le programme BSAH (bâtiment de soutien et d’assistance hauturier) fournira 8 bâtiments qui remplaceront la flotte actuelle pour assurer des missions de soutien des forces. La commande est attendue en 2013 pour des livraisons entre 2014 et 2016.

L’aviation de chasse embarquée, quant à elle, évolue vers un parc unique homogène d’avions polyvalents, composés de Rafale marine au standard F3. 34 Rafale ont été livrés. Les dix premiers aéronefs au standard F1 sont en cours de transformation pour uniformiser la flotte au standard F3. Concernant les hélicoptères, le NH90 Caïman, version combat, remplacera le Lynx sur les frégates de la nouvelle génération. 

Concernant la FOST et précisément la flotte des 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) celle-ci reste en cours de renouvellement avec le programme BARRACUDA qui livrera son premier sous-marin en 2017. Les BARRACUDA seront armés de la future torpille lourde Artemis, du missile de croisière naval (MdCN), du missile antinavire Exocet et auront la capacité d’embarquer et de déployer des nageurs de combat. 

Créer des effets de classe pour montrer sa supériorité

Les efforts de la Marine française pour renouveler ses classes se résument surtout par les enjeux stratégiques, économiques et industriels du monde actuel. Les programmes de modernisation trouvent leurs fondements dans le besoin de toujours mieux contrôler, surveiller et dissuader. Face à la montée en gamme de certaines autres nations, elle doit faire face aux nouvelles réalités et à une inquiétante montée en puissance de nouveaux acteurs avec en tout première ligne la Chine.

Cependant, même les pays voisins cherchent à améliorer l’efficacité de leurs armes et n’hésitent pas à mettre les moyens. La Flotte britannique, en exemple, a mis en place des bâtiments de défense aérienne de premier rang : les destroyers type 45 de classe Daring, en remplacement des 12 DDG type 42 qui équipent la Royal Navy depuis le milieu des années 1970. Ce sera la troisième classe de destroyers à se dénommer Daring après celle de 2 navires lancés en 1893 et 1894, puis une autre de 12 navires lancés entre 1949 et 1952. 

Face à de tels efforts de la part d’un pays européen (le coût total du programme estimé à l’origine à 5 milliards de livres a été ensuite estimé à 6,46 milliards), la France se doit de mettre les bouchées doubles ou de signer des partenariats.

De même aux Etats-Unis, la classe Arleigh Burke (nommé aussi DDG-51 suite à l’immatriculation du navire tête de série) se place comme une des classes de destroyers américains les plus récentes. Ce navire multi-rôles équipé du système de combat Aegis a progressivement remplacé l’ensemble des destroyers du pays. La première unité est entrée en service en juillet 1991 et la série devait comprendre, selon les planifications en 2012, au moins 93 unités constituant la classe de destroyers la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. 

Fin août 2008, l’US Navy demande huit Arleigh Burke supplémentaires d’une version améliorée Flight IIIB développée pour la classe Zumwalt, cette demande fut acceptée portant le nombre de navires prévus à 70 exemplaires. La classe Arleigh Burke se décline en 2012 en trois versions : Flight I, Flight II et Flight IIA. Le Flight III, quant à lui, sera doté d’une propulsion électrique et de nouveaux radars, pour lequel 22 destroyers doivent être finalisés d’ici 2030. Cela portera la série des Burke à 93 bâtiments, l’une des classes les plus nombreuses de l’histoire de la marine de guerre des États-Unis. Déjà, un Flight IV est à l’étude avec 21 destroyers livrables à compter de 2032. Le coût total du programme pour 75 navires est estimé, fin 2010, à 88,4 milliards de dollars jusqu’en 2017.

A l’évidence les forces voisines de la France mettent le cap sur une nette amélioration de leurs capacités navales. Il semble que les stratégies de défenses nationales des pays étrangers mettent le curseur vers les mers plutôt que vers les terres. Les moyens britanniques ou américains alloués aux classes et au renouvellement de leurs flottes laisse entrevoir des armées de mer renforcées. En 2008, pour le seul fonctionnement d’un navire, le gouvernement américain dépensait 25 millions de dollars… 

S’agirait-il d’un indice de renouveau quant à ce cap mis sur les forces maritimes ? Un chemin à emprunter ?

4- Un deuxième porte-avions, une nécessité pour la France ? Une simple question de logique !

Lorsqu’une nation a la chance de posséder un porte-avions, la cohérence voudrait qu’elle en ait un second.

La raison reste purement technique : quand l’un est immobilisé pour sa période d’entretien, l’autre peut ainsi le remplacer. La capacité navale peut en conséquence être maintenue en permanence. Cela semble presque une obligation pour un pays comme la France, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, surtout si elle souhaite prendre part au règlement des conflits mondiaux. La grandeur de sa diplomatie ne saurait s’appuyer sur des moyens militaires « d’à peu près ».

C’est ainsi que le président Jacques Chirac déclarait en 1996 : « La France attend de ses armées qu’elles garantissent la protection de ses intérêts vitaux, le respect de ses engagements internationaux, et qu’elles lui permettent d’assumer les devoirs que lui imposent les responsabilités particulières qui sont les siennes. » Les personnalités politiques de premiers plans et les principaux concernés paraissent d’accord sur ce point. Ainsi, l’amiral Bernard Rogel osait prononcer en juillet dernier : « On ne peut pas dire qu’un porte-avions ne soit pas indispensable ! Quand on en a qu’un on prend nécessairement le risque de n’en avoir aucun disponible à certaines périodes… » 

Il est vrai qu’à partir de 2030, la puissance aéronavale française devrait être sur le déclin par l’arrivée d’autres outils sur le marché et par la fin de vie de son porte-avions qui date de 1987. L’état-major convient qu’il y a urgence à prendre des décisions budgétaires et techniques pour ne pas reléguer la marine française à un rang inférieur à ce qu’elle est aujourd’hui.

Un besoin souverain et une exception aéronavale française en danger

Depuis la fin des années 70 et jusqu’à nos jours le groupe aéronaval français règne en maître sur l’Europe et sur le monde à côté des porte-avions américains puisqu’il ne souffre d’aucune contestation. L’outil permet de distinguer la voix de la France : quand il faut intervenir, la France peut le faire.

Elle est autant indépendante par son fait nucléaire que par son groupe aéronaval qui lui permet de s’engager partout. Rare marine de premier rang en Europe, elle s’est dernièrement illustrée de façon exemplaire dans le conflit en Libye. Lors de l’opération Harmattan, elle a pu entrer en premier sur le théâtre grâce à la force de frappe de l’outil aéronaval. 

La France a compté dans cette opération grâce à ses moyens navals de grande dimension qui regroupent par ailleurs un groupe amphibie, des ravitailleurs et une force sous-marine. Ils ont permis à la puissance aérienne française d’avoir une capacité indépendante de ciblage. Les autres pays de la coalition devaient passer par les outils des autres… dont ceux de la France !

Conséquence avantageuse : l’hexagone a pu s’offrir l’attention des médias et de belles retombées politiques. En comparaison, les Anglais n’avaient pas de porte-avions, ni vraiment de capacités à entrer en premier sur le théâtre. Ce sont les Américains et les Français qui ont nettoyé le théâtre libyen grâce aux missiles de croisière et aux frappes par chasseur-bombardiers. Une figure d’excellence si une petite ombre subsistait au tableau : le manque de moyens. 

Ainsi, le chef d’état major a dû effectuer des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, comme celles contre le narcotrafic ou l’immigration illégale ou des missions de sureté au profit de la FOST. Indéniablement, la France n’a pu réaliser ses missions tout comme elle ne put réaliser toutes celles du contrat opérationnel fixées par le Livre blanc de 2008.

La question de l’avenir reste donc posée : combien de temps encore la grandeur de la Marine française va-t-elle subsister ? Comment ferait la France sans porte-avions s’il venait à se détériorer ? Comment garderait-elle son prestige et sa capacité ? D’autant que la concurrence devient inquiétante.

Après 2018, l’Angleterre va recouvrer un outil aéronaval qui va monter en puissance jusqu’en 2030. Le Charles de Gaulle sera donc concurrencé en Europe. Dans l’océan indien, c’est l’Inde qui va imposer sa puissance aéronavale. Depuis les années 50 elle cultive un outil aéronaval si bien qu’elle aura bientôt au moins une permanence aéronavale, ce qui va considérablement relativiser les croisières du Charles de Gaulle dans cet océan. La Chine, quant à elle, va rapidement produire des effets diplomatiques notoires quand elle maitrisera son groupe aérien embarqué. Restent encore la Russie ou le Brésil, qui rendent la compétition fort rude. La France, rares au monde, à disposer d’un porte-avions, a plus que jamais une responsabilité à jouer et ne doit pas faillir à cette force d’autant que de nombreuses autres puissances tentent d’atteindre son niveau. Si elles y parviennent, l’outil aéronaval français ne sera plus « unique » et donc plus « relativisé ». 

Ce serait bien la fin d’une exception aéronavale française en Europe.

Autre argument important à la nécessité d’un deuxième porte-avions : La crise amène les pays à réduire leurs capacités. Le résultat est lourd : même les américains seraient en train de diminuer de moitié le nombre de leur porte-avions…

Qu’adviendrait-il de l’espace géopolitique occidental si les porte-avions venaient à manquer cruellement ? Le retrait américain sera un boulevard pour d’autres. Paradoxalement,en temps de crise économique, ne faut-il pas mieux se protéger ?

Malheureusement, la réponse a été donnée en juillet 2012 et la Marine française a dû faire une croix sur le second porte-avions tant attendu. L’amiral Bernard Rogel a baissé les bras face aux rigueurs budgétaires et a avoué : « je me vois mal réclamer entre 3 et 5 milliards d’euros aujourd’hui… ».

Les alternatives

Reste à analyser les alternatives à la non obtention d’un deuxième porte-avions. Et elles ne sont pas si nombreuses.

D’abord miser sur le partenaire britannique. L’Angleterre entrevoit de s’équiper fortement : deux porte-avions anglais devraient voir le jour au sein de la Royal Navy d’ici quelques années. Cependant leur construction a pris du retard, ils devraient être achevés après 2020. Le Royaume-Uni vit la même situation de réduction temporaire de capacités. Elle se retrouve face à de sérieux dilemmes financiers. L’union pourrait renforcer la force des deux pays.

En outre, s’allier permettrait à l’Europe de disposer d’une capacité de porte-avions permanente, si bien sûr le Charles de Gaulle reste en service. Pourvu juste que les Britanniques ne renoncent pas à leur porte-avions, la France se retrouverait seule à disposer de cette capacité en Europe, avec une réduction temporaire de capacité, qui ne sera plus temporaire. 

Mais la mutualisation comporte un risque. L’amiral Bernard Rogel s’en explique : « pour mutualiser il faut avoir une valeur d’échange. Or, nous avons des capacités navales que nous sommes seuls à maintenir en Europe, ce qui limite les possibilités, en la matière. Par ailleurs, les enjeux maritimes recouvrent souvent des enjeux de souveraineté. » 

A l’heure actuelle, les Anglais n’ont plus à leur disposition de BPC, ni porte-avions, ni patrouille maritime… « Du coup, la France est la dernière marine possédant l’ensemble des capacités et donc capable de représenter la puissance navale de l’Europe. Il faut en avoir conscience ».

D’autres solutions pour pallier au manque d’un deuxième porte-avions sont envisagées parmi lesquelles la mise en action de combattants supplémentaires ou l’arrivées de nouvelles capacités navales mais il semble que l’ardoise devienne au final plus salée que le coût d’un deuxième porte-avions… Certains ne voient même plus d’alternative ou d’alternative sérieuse. Selon Patricia Adam, présidente de la commission de la Défense et des forces armées de l’Assemblée nationale : « Le second porte-avions ne sera pas un enjeu pour les cinq années qui viennent. Maintenant, il est trop tard pour faire construire un bâtiment destiné à épauler le Charles de Gaulle.

Le prochain porte-avions qui sera commandé le sera pour remplacer l’existant. Ainsi dans les cinq ans, il faudra commencer à travailler au remplacement du Charles de Gaulle à partir de 2025. »

Après de tels propos, comment la France pourra-t-elle préserver un outil aéronaval pour continuer à exprimer son indépendance d’action sur la scène internationale ? Réponse dans le prochain Livre Blanc et la prochaine loi budgétaire.

5- France-Angleterre : une coopération nécessaire ?

Depuis 2008 on peut lire dans le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale que « la France se maintiendra dans le peloton de tête des pays européens en matière de défense avec le Royaume-Uni. » 

Si la phrase sonne comme une nouvelle positive, faut-il y voir une véritable volonté qui connaitra un lendemain ? Après des accords de Saint-Malo (1998) peu féconds, un renouveau franco-britannique pourrait relancer une coopération actuellement nécessaire au sein de l’Union européenne.

En 2011, un nouveau traité de défense entre la France et l’Angleterre a été signé. Il a amené fin 2012 à un rapprochement des Flottes française et britannique. Ce nouvel accord a été envisagé suite à de nombreux constats dressés dans une période de lourde crise financière. Ces constats ont amené à une évidence : coopérer pour subsister.

La coopération dans l'armement : une nécessité économique pour rester numéro un à deux

En temps de vaches maigres, comment relancer une machine de défense européenne en berne ? Telle est la question que les dirigeants anglais et français se sont posés à de nombreuses reprises. Pour en venir à une conclusion simple : les deux pays les plus forts doivent accorder leur diapason pour créer une différence.

Depuis la recherche, la technologie et le développement jusqu’au soutien et à la coopération en passant par l’optimisation des capacités opérationnelles, nul doute que l’union des deux peut changer la donne. Il semble déjà que l’idée ait fait son chemin et qu’elle apparaisse comme une délivrance pour beaucoup. Certains y voient la réponse à une urgence, une nécessité pour revitaliser la relation franco-britannique.

Ainsi, le secrétaire général de l’OTAN Lord Robertson n’hésitait pas dernièrement à avouer :

« il y a force majeure pour la coopération » tandis qu’Etienne de Durand, chercheur à l’IFRI confessait : « si nous ne trouvons pas un chemin ensemble, nous tomberons chacun de notre côté. » Depuis les accords de Saint-Malo en 1998, force est de constater que bien peu de résultats ont été accomplis. Chacun des signataires semble n’avoir fait que donner la priorité à ses propres intérêts.

Croire à un renouveau, est-ce possible ?

Oui si l’on en juge le travail déjà engagé de mutualisation des forces. Les paroles s’envolent, les écrits restent et les actes suivent. Pour cause : il a clairement été stipulé dans ce nouvel accord que la Marine nationale et la Royal Navy prévoient de constituer une imposante force aéromaritime en Méditerranée. Le groupe aéronaval et amphibie franco-britannique doit renforcer la coopération et l’interopérabilité entre les groupes de projection des deux principales marines européennes. 

Comment cela va-t-il concrètement s'orchestrer ?

D’un côté la France apporte son groupe aéronaval articulé autour du porte-avions Charles de Gaulles, et un groupe amphibie, avec un bâtiment de projection et de commandement. De l’autre, la Grande Bretagne engage son RFTG comprenant le porte-hélicoptères HMS Ocean ou le HMS Illustrious, ainsi que des transports de chalands de débarquement. La force conjointe combinera aussi des unités terrestres, avec les Royal Marines britanniques et les Marsouins de la 9ème BLBIMa, ainsi que des hélicoptères de combat (Tigres FR et Appaches UK) et de manoeuvre (NH 90, Lynx, PUMA).

La mutualisation, c’est une idée techniquement nécessaire : sans porte-avions, la Navy n’est plus une « grande Flotte » et la Royale n’a que 2 HRZ en attendant les FREMM. La France, quant à elle, n’est pas en reste. Partagez les coûts en temps de crise s’avère un soulagement. L’impact de la situation financière sur le besoin d’une nouvelle collaboration se fait sentir d’une façon violente. De telle manière qu’il est devenu impossible aujourd’hui pour la France ou l’Angleterre de développer une capacité militaire autonome : Comment faire accepter à l’opinion publique de nouvelles dépenses en la matière ? Pour l’industriel anglais Edgar Buckley le partage des coûts de l’équipement de défense franco-britannique paraît évident : « partagez les frais ou perdez tout ».

Mais au-delà des considérations purement financières et techniques, la France et la Grande-Bretagne restent « les seules puissances militaires globales en Europe capables de projeter leurs forces loin de leurs frontières », c’est du moins le jugement de Tomas Vazalek, président du Central European Policy Institute à Bratislava. 

Cet expert a étudié les conséquences de la chute de l’effort de défense européen. Pour lui il ne fait aucun doute : « les deux pays sont à part de tous les autres, le fossé avec l’Allemagne est bien réel. » Pourquoi donc ne pas profiter d’un duo fort et capable de s’unir ? 

Pour Tomas Vazalek : « la France et la Grande-Bretagne sont les seules à conserver la volonté d’agir et d’utiliser seules leur pouvoir militaire. Ce sont les derniers des Mohicans en Europe. »

Quant à Leo Michel, de la National Defense University à Washington, voilà ce qu’il en pense :

« La France est le seul allié européen – à part le Royaume-Uni - à considérer ses capacités militaires comme des leviers vitaux pour exercer une influence globale. » Si l’on en croit les protagonistes, il y aurait fort à parier que cette coopération puisse amener les deux pays à devenir ou rester numéro un à deux.


Car seule, autant le reconnaître : la France n’a pas les moyens de son ambition.

Selon la directrice du German Marshall Fund « elle doit continuer de limiter la perte de son indépendance stratégique par des actions – symboliques ou non – fortes sur la scène internationale ». Si « cette tradition fait d’elle un acteur qui compte encore », il n’en reste pas moins qu’elle doit préserver sa dimension. Pour y parvenir, le traité de défense semble arriver à point nommé pour permettre le maintien du rang français.

Le porte-avions Charles de Gaulle ne devrait plus être seul, car il va naviguer de façon mieux coordonnée avec son nouvel équivalent anglais, attendu pour 2017. Pour M. Vazalek : « les deux pays ont choisi de garder la capacité du porte-avions, un élément beaucoup plus important que d’autres en termes de statut de puissance. Car le porte-avions est un outil qui est régulièrement utilisé et produit des effets.  

Restaurer la réputation de l’Angleterre

De son côté, pourquoi le Royaume-Uni coopérerait-il plus étroitement avec la France ?

Pour le comprendre, le regard doit se tourner outre Atlantique. Depuis le milieu des années 90, l’Angleterre doit faire face à de nouveaux enjeux d’ordre diplomatique. Sa relation avec les Etats-Unis n’est plus aussi forte et intense qu’autrefois. Les opérations militaires en Iraq et en Afghanistan y sont pour beaucoup. Elles ont indéniablement écorné l’image de la Grande-Bretagne et sa crédibilité de pouvoir global indépendant tout en lui faisant perdre un nombre considérable de forces armées.

Le gouvernement de Tony Blair a beaucoup été critiqué par les analystes politiques étrangers. On lui a notamment reproché d’avoir laissé de côté les intérêts nationaux au profit d’une quête d’influence ardue auprès de Washington. De telle sorte qu’un besoin de renversement stratégique se fait sentir depuis déjà un moment. De nombreux leaders politiques, lors de la dernière campagne électorale, ont appelé à de nouvelles relations transatlantiques. Au même moment, le président Barack Obama déplaçait les capacités de défense américaines présentes en Europe vers l’Asie, et surtout vers l’Inde et la Chine 

Conséquence : la France a réagi en se rapprochant de son homologue britannique. Un rapprochement marqué par la réintégration de l’hexagone dans les structures de l’OTAN... grâce à la Grande-Bretagne. En effet, pendant les deux années qui ont précédé cette décision, Londres a été très impliquée dans le processus de révision stratégique français. Elle a même participé à l’écriture du dernier Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale en 2008.

Au final, l’alliance des deux puissances au sein de l’OTAN devrait permettre d’intensifier la sécurité globale de l’Europe, de mener une politique maritime plus efficace dans le monde, et de promouvoir leur rôle clé au sein de l’OTAN tout en limitant les dépenses et notamment les coûts de structures.

L’écriture sur le papier paraît presque parfaite. Reste à voir comment les forces vont s’articuler sur le long terme. Le traité franco-britannique semble en effet se focaliser sur des besoins à court-terme. Que se passera-t-il lorsque les économies des deux pays se rétabliront ?

Retourneront-ils aux vieilles habitudes protectionnistes et nationalistes ? Les différences stratégiques réémergeront-elles ?

Pour l’heure, gardons une note d’optimisme : le partenariat demeure plutôt bien engagé.

 

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Eric Lambert
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