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DEFENSE & SECURITE

Les impacts à venir du Brexit sur les industries de défense britanniques... et européennes

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2020-03-24
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Brexit, les impacts à venir sur les industries de défense britanniques... et européennes
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En septembre 2017, le gouvernement britannique a publié un document sur la manière dont il envisageait les relations de politiques étrangères et de défense avec l’Union européenne post - Brexit.

Introduction

Les gouvernements britanniques successifs ont passé des années à s’opposer activement et avec constance aux initiatives de l’Union européenne relative à sa défense, les considérant comme une menace pour la stabilité et la pérennité de l’Alliance atlantique.

Ce fut donc avec quelques étonnements que nous pouvions lire dans ce document que le Royaume-Uni était un soutien de la politique de défense et de sécurité commune. « Le Royaume-Uni avait été à l’avant-garde de la collaboration avec l’UE et les partenaires européens », affirme en effet les rédacteurs du document. Ces derniers plaident d’ailleurs en faveur d’une relation « profonde et spéciale » dans ces domaines. Une relation qu’ils souhaitent beaucoup plus proche, et moins vassalisée, que tout ce que l’Union a concédé jusqu’ici dans les négociations de sortie. Les meilleures propositions des 27 dans ce domaine étant de dupliquer celles entretenues avec la Norvège, qui n’occupe pas, il faut en convenir, la même importance dans la défense de l’Europe qu’un pays ayant l’un des deux plus gros budgets de défense de l’Union.

La réaction de la commission fut dubitative de cette parution soudaine. La Grande-Bretagne allait-elle revenir sur ses engagements et mettre dans la balance des négociations en cours sa participation à la défense de l’Europe ? Le gouvernement britannique avait flirté avec cette idée, mais à l’automne dernier, il s’était engagé dans un engagement « inconditionnel » en faveur de la sécurité européenne.

Il semble plutôt que la perspective du Brexit ait, un minimum, rationalisé les esprits et les postures. Malgré toute la pertinence du positionnement dit « Global Britain », même les brexiteurs les plus acharnés au sein du cabinet May ont commencé à réaliser qu’une Grande-Bretagne stratégiquement isolée de l’Europe continentale serait plus vulnérable dans un contexte sécuritaire tendu et une Russie, jugée ici et à bon droit, agressive. Ainsi, dans une volteface, non dépourvue d’arrières pensées et d’amertume, le gouvernement britannique a remis, pour le moment, sa position sur la thématique « l’effort de défense européen sape l’OTAN », et l’a remplacé par un soutien pragmatique et, il est vrai, opportuniste.

Pourtant, même en supposant une certaine bonne volonté des deux côtés, ce que les rumeurs relatives aux négociations sur la sortie britannique de l’Union infirment chaque jour, cela sera plus facile à dire qu’à faire. L’UE est avant tout une communauté de droit, et les relations de l’UE avec les tiers, telles qu’énoncées dans les traités, ne sont ni particulières, ni particulièrement profondes.

L’ingéniosité britannique et la nécessité de l’Union de ne pas entièrement rompre avec un de ses principaux contributeurs en termes de sécurité, peuvent trouver des moyens de contourner cela ; L’ECFR a déjà recruté quatre experts reconnus afin d’identifier les moyens pour le Royaume-Uni post-Brexit de rester proche de l’UE en matière de défense et de sécurité.

En plus de la dimension stratégique, ces experts devront également penser aux relations avec l’industrie de la défense britannique ; et dans ce domaine, les développements récents ont ajouté une nouvelle dimension dont la complexité n’apparait pas encore dans son entier.

Article connexe - Brexit : quelle politique étrangère pour le Royaume-Uni ?

L’industrie de défense britannique, un atout européen

L’industrie aéronautique et défense britannique est le joyau de la couronne manufacturière du pays. Si l’on y ajoute les industries de sécurité (cyber en tête) et de l’espace, elle représente 363 000 emplois et génère 37 milliards de livres d’exportations annuelles. Et cette industrie, contrairement à certains députés ou à certains ministres, a longtemps compris et agi sur l’impératif de coopérer avec ses consœurs continentales.

Dans le monde d’aujourd’hui, seuls les États-Unis ont les ressources pour concevoir, développer et produire seuls l’intégralité de la gamme des systèmes de défense modernes sur une base nationale.

Pour cette raison précise, les États-Unis ne sont pas enclins à des collaborations sur un pieds d’égalité : ils n’accordent qu’un accès sélectif à leur marché national et refusent de partager sa technologie, même avec ses alliés les plus proches. Les Européens en savent quelque chose alors même qu’ils peuvent acheter, et même investir, dans l’avion de combat F35 mais que le leur refusera une compréhension complète du fonctionnement de la plateforme, voire une pleine autorisation de son emploi.

Les entreprises européennes de défense sont donc condamnées à travailler entre elles - soit sur de nouveaux projets spécifiques de recherche et de développement de systèmes, soit par le biais de joint-ventures et de fusions. La consolidation de l’industrie de défense européenne est en marche et certains de ses plus gros contributeurs sont au Royaume-Uni.

L’industrie britannique a pleinement adopté cette logique. Dans certains cas, des sociétés ont été acquises par des groupes continentaux (hélicoptères et électronique, par exemple). Dans d’autres, les firmes britanniques ont pris les devants - le premier exemple est MBDA, un missile paneuropéen dans lequel prédominent la Grande-Bretagne et la France et qui rivalise avec l’Américain Raytheon sur le marché mondial.

De quelques conséquences...

Le Brexit menace désormais la future implication britannique dans de telles consolidations, et même dans de nouveaux projets spécifiques tels que le successeur de l’Eurofighter, et ceci de deux manières.

- La première est un problème partagé avec une grande partie de l’industrie manufacturière britannique : comment maintenir des supply-chain complexes et une fabrication flux tendus et comment recruter et déployer des équipes techniques paneuropéennes si un hard-Brexit sort le Royaume-Uni du marché unique et de l’union douanière ? Cette question a été soulevée à plusieurs reprises depuis le référendum, mais aucune réponse adéquate n’a encore été apportée par le gouvernement.

- Le second découle de la création du Fonds européen de défense doté d’environ 1,5 milliard d’euros par an prélevé sur le budget général de l’Union pour subventionner des projets de recherche et développement de défense proposés par des groupements d’États membres. Jusqu’à présent, la collaboration industrielle en matière de défense en Europe a été répartie entre les capitales nationales et Bruxelles n’avait pas, ou si peu, d’influence sur le sujet. Dans ce contexte, Londres (et ses industries) restait un acteur-contributeur et parvenait à maintenir son rôle. FDE faisant la Commission déviant un payeur/acteur important avec un agenda clair.

Dépenser l’argent de l’UE en matière de défense est un nouveau départ pour l’Europe - un résultat justifié par l’adoption en 2016 d’une stratégie globale visant à une « autonomie stratégique ». Cela peut vouloir dire plusieurs choses, mais une chose est sûre : la « base technologique et industrielle de défense » de l’Europe (BITDE) devrait devenir plus autonome et moins dépendante des États-Unis. Il n’est donc pas surprenant que les règles du régime de subventions actuellement en discussion dans les institutions européennes précisent que les subventions doivent être réservées aux industries de défense de l’ensemble européen. Définir quelles organisations sont considérées comme des « industries de défense européenne » est le jeu d’influence du moment sur lequel Londres investit des ressources importantes.

Cette disposition vise manifestement à répondre au long refus américain d’accès a leur marché et à leur opposition au transfert de technologie aux Européens (voir, à ce titre, le lobbying déployé par les intérêts américains au projet FCAS) en adoptant une posture plus réciproque de ce côté-ci de l’Atlantique.

Pour le Royaume-Uni, la question est de savoir comment éviter de devenir un dommage collatéral de cette nouvelle politique. Les Britanniques soutiendront qu’ils ont longtemps été des partenaires intimes dans la BITDE ; qu’ils ont des technologies et des compétences que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe (ce qui est vrai) ; et qu’ils seront heureux de trouver des subventions proportionnées pour contribuer aux groupes de projets financés par l’UE (ce qui leurs est indispensable).

Mais légalement parlant, une fois qu’il quittera l’UE, le Royaume-Uni ne sera pas moins un « pays tiers » que les États-Unis. Et même si les Européens, que nous trouverons très légalistes sur ce point, étaient enclins à faire une exception, le faire soulèverait de sérieuses objections de la part d’autres pays tiers... Notamment de la part des États-Unis.

Un modèle émerge donc. Le départ de la Grande-Bretagne de l’UE nuira aux deux parties - le Royaume-Uni en particulier, mais aussi l’UE des 27. Alors pourquoi ne pas se montrer souple avec les Britanniques ? Certainement pas parce que les obstacles juridiques et politiques semblent, à première vue, insurmontables. Pourtant, à moins de trouver des moyens de les contourner ou de les lever, la dernière grande partie de l’industrie manufacturière britannique pourrait se retrouver progressivement exclue de l’Europe et faire face à un avenir sombre. Ce dont le citoyen européen lambda, et désormais un brin antibritannique, se réjouira peut-être mais certainement pas l’amateur éclairé ou le sachant de cette industrie d’excellence dont les règles de fonctionnement différentes nécessitent et méritent mieux que des postures à Londres et à Bruxelles.

Eric Lambert
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