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DEFENSE & SECURITE

Le marché aéronautique et naval de la défense indienne

Victanis Advisory Services GmbH
2018-11-03
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L’Inde, parmi les premiers marchés mondiaux de la défense (avec un budget de 37 milliards de dollars), représente une source de contrats juteux pour les entreprises européennes du secteur aéronautique et de la défense. La demande militaire y est élevée et sa position stratégique reste envieuse : ce serait « le seul pays de la zone qui, de par sa taille et son importance, pourrait résister à la Chine en lui faisant contrepoids ». Un argument non négligeable pour se positionner de son côté.

L'Inde a donc le soutien politique implicite des Américains, des Européens et des Russes, ces derniers étant les fournisseurs historiques. Tous veulent coopérer et permettre au pays de se doter d'une véritable industrie. Il est vrai que New Delhi cherche à se mettre au niveau. L’Inde importe près de 70% de ses équipements, elle a d’ailleurs surpassé la Chine entre 2006 et 2010 et cela peut devenir un handicap pour son autonomie militaire et les enjeux du XXIème siècle.

Un besoin d’autosuffisance se fait sentir aujourd’hui et la volonté de moderniser ses forces armées reste bien présent, son matériel devenant vieillissant. Bonne nouvelle car nombreux sont ceux qui souhaitent en tirer profit. Ce marché émergent particulièrement attractif ne cesse d’accroître les compétitions entre sociétés d’armements, mais gare à l’art et la manière : si le moindre contrat s’annonce au milliard de dollars, le temps de la décision lui s’étire plus qu’ailleurs. Inutile de penser travailler sans partenaire sur place. D’autant que le budget indien de la défense est également menacé par les difficultés économiques, son taux de croissance est en berne, l’activité industrielle s’essouffle et surtout la roupie ne cesse de se déprécier, la période est morose.

Du coup, deux options s’offrent aux responsables du ministère indien de la Défense : une rallonge budgétaire ou le retard de certains programmes... en accordant la priorité à ceux qui sont déjà avancés. Dans un climat incertain, il semble toutefois que la France bénéficie d’une réputation solide.

I. Etat des lieux de la défense indienne

L’histoire de la défense indienne se déroule en deux temps : d’abord une période de domination du secteur public qui tire le pays jusque dans les années 90, puis le bond dans la libéralisation qui vient après 1990. Le visage du pays change alors : le secteur privé est encouragé à investir dans l’industrie de l’armement tandis que l’Etat en appelle aux investissements étrangers directs. Ainsi, en quelques années de grandes sociétés indiennes voient le jour comme Tata Industries ou Mahindra & Mahindra. Elles deviennent les sous-traitants d’importantes multinationales.

Conséquence : un cap a été franchi et une nouvelle stratégie de défense peut naître. Chaque année le budget grossit tandis que les attentats de Bombay en 2008 encouragent le phénomène. De 3,5 milliards en 2004 il passe à 7,5 milliards en 2007 puis à 28 milliards en 2009. L’armée veut se moderniser et une volonté nette d'acquisition de matériel militaire de pointe se fait sentir. Le pays a une formidable envie de devenir l’une des plus grandes puissances au monde et passe en un temps record de l’équipement obsolète au plus perfectionné.

La résultante est sans appel. Avec un armement indien en plein essor et des programmes solides (les salaires et pensions ne représenteraient que 34% du total du budget), le marché est donc la source de nombreuses convoitises, d’autant que son niveau d’importations est élevé, elles devraient atteindre la somme de 50 milliards de dollars d’ici 10 ans, de quoi placer l’Inde au rang de premier importateur mondial du secteur, une source d’envie pour pléthores d’entreprises. 

Dans la course effrénée aux contrats, il s’agit tout de même de respecter quelques règles. En effet tous ceux qui remportent les négociations doivent par la suite faire réaliser une forte part des équipements (30 à 50%) sur place sans dérogation. Ils doivent aussi réaliser des transferts technologiques pour permettre à l’Inde d’accroître sa connaissance et cela peut souvent faire peur. Une autre source de difficulté vient de la bureaucratie. Le processus administratif reste très long et très complexe.

Un exemple ? Le groupe britannique BAE a attendu plus de 20 ans pour voir son contrat d’avions Hawk devenir enfin effectif. Mieux vaut donc être patient. Et aussi rester sur ses gardes : des marchés ont déjà été annulés par une mise en concurrence de dernière minute. En 2007 ce fut le cas des 197 hélicoptères d’Eurocopter. Loyales ou pas, les affaires indiennes ne font pas de compromis et ne reculent devant rien pour voir émerger les meilleures opportunités.

II. Un marché visant à l’autosuffisance ?

C’est la Russie qui a le mieux intégré les programmes d’armements indiens. Le partenariat militaire et technique a commencé en 1964. Fournisseur historique, le pays a équipé quelques 1300 appareils dont 600 avions de chasse, tous en service depuis 1986. Avec 1,5 milliards de dollars par an, il se taille une belle part du gâteau bien qu’elle diminue avec le temps et la concurrence. Il n’empêche, la collaboration s’est développée considérablement depuis 2007 et un accord gouvernemental permet d’offrir depuis le début des années 1990, des perspectives ultra-modernes et un appareillage extrêmement sophistiqué. Les programmes jumelés et cofinancés améliorent les systèmes de défense.

Par exemple, l’appareil russe T-50 serait en passe de devenir le futur chasseur de cinquième génération. Le Vikramaditya, quant à lui, a été remis le 16 novembre 2013 à la marine indienne, ce qui lui permet d’acquérir un porte-avions capable d’embarquer des avions à décollage et atterrissage classique. Cette mise en commun des moyens change l’équilibre de la défense mondiale et apporte à l’Inde une possibilité d’autosuffisance et de rayonnement international. Les deux pays collaborent sur le développement d’autres équipements tandis que la Russie continue à alimenter son compatriote en ravitailleurs en vol Iliouchine, en systèmes de missiles tactiques pour les opérations aériennes, en chasseurs embarqués MiG-29K/KUB, en avions russes Bé-200 et en avion amphibie.

Pourtant, hors de question que les autres puissances restent sur le carreau. Alors, tout le monde y va de sa méthode séduction. Quand le deuxième fournisseur de l’Inde, Israël, fournit des systèmes d’alerte aéroportés Phalcon et des systèmes de missiles tactiques, les Etats-Unis de leur côté parviennent à vendre des avions de transport militaire Boeing C17 III. Chacun arrive à trouver une place même si cela se fait de plus en plus difficilement car les Européens sont aussi bien présents. Reste que les appels d’offres sont nombreux et ont même de quoi faire pâlir les puissances historiques. Ainsi, l’Inde a souhaité renouveler son parc aérien et acheter 126 appareils en 2012 pour un budget de 10 milliards de dollars. Pour cela, elle n’a pas fait  les  choses  à  moitié,  les  candidats  ont  été  largement  évalués. Américains, Français, Européens, Russes, Suédois ont tous tenté leur chance. F-16 de Lockheed Martin, Eurofighter Typhoon d’EADS, Rafale, Gripen, se sont fait la guerre pour le contrat nommé MMRCA (Medium Multi Role Comabt Aircraft), que la France (Dassault) a finalement remporté sans toutefois avoir signé...

Il semble que l’effort de modernisation de la défense indienne laisse entrevoir l’envie de devenir une force majeure de la région et qu’un besoin d’autosuffisance se fasse sentir. En effet, la situation géopolitique sensible du pays peut jouer un rôle dans le changement de cap indien, on peut imaginer que l’Inde souhaite pouvoir intervenir en Afghanistan, en Iran, en Chine ou au Pakistan pour protéger ses arrières.

Si ses techniques de surveillance radar, de précision des armes ou de protection électronique ne sont pas encore au point, une chose est sûre : le pays, à travers ses divers achats, montre une volonté d’apprentissage technologique, ce qui à certains égards, pourrait amener le développement de sa propre industrie militaire et constituer une armée moderne, indépendante et solide. Le résultat est clair : elle devient capable de mener des opérations offensives de projection, et progresse, de telle sorte que d’ici 2017 elle pourrait être capable de produire des appareils de cinquième génération. Reste que la dépendance vis à vis des fournisseurs étrangers est encore très importante.

Tant mieux, diront-ils, mais la compétition est rude, les discussions interminables et le fournisseur historique russe toujours très présent. Si les chefs d’Etat défilent comme François Hollande, Vladimir Poutine ou David Cameron, une chose reste certaine et cruciale : il faut disposer impérativement d’un partenaire en Inde possédant des relations et des introductions à haut niveau localement pour imaginer une seule seconde s’implanter et/ou se développer dans le pays. Et il s’agit d’être sûr du partenaire pour éviter tout vol de technologies.

Selon la législation en vigueur, les entreprises étrangères peuvent fonder une co-entreprise avec un groupe indien tout en ne détenant que 26 % des parts, laissant le reste à un ou plusieurs partenaires indiens. Difficile de trouver un partenaire indien prêt à investir 74 % du capital. Difficile aussi d’instaurer la confiance quand on est tout nouveau. Le Cabinet Vanguard Intelligence se positionne comme un conseil clé en la matière. Par ailleurs, la législation indienne en matière d’offsets est également très complexe et contraignante. Dans le secteur de la défense les compensations doivent atteindre au minimum 30 % du prix indicatif exprimé dans l’appel d’offre lorsqu’il dépasse 45 millions d’euros. Ainsi, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offre international, un scandale de corruption peut éclater facilement. 

III. Les opportunités pour les sociétés françaises 

A force d’obstination, les résultats pour la France s’avèrent parfois heureux. Ainsi, le fabricant français de missiles MBDA a emporté en 2012 un contrat d’un milliard d’euros pour 500 missiles MICA destinés aux Mirage 2000 indiens. Un gros contrat qui fut le plus important de l’année et qui amène Antoine Bouvier, PDG du deuxième missilier mondial a déclaré que « l’Inde sera, dans quelques années, notre premier client à l’export. » Voilà qui en dit long sur les perspectives à long terme, cela a aussi de quoi faire oublier les 30 discussions en cours. 

Car les sociétés françaises comptent bien saisir un maximum d’opportunités et il semble que la France, jusqu’à présent positionnée comme « acheteur-vendeur » entre dans une phase de développement et de production commune avec l’Inde, en Inde.

La raison peut être liée à la relation du passé (initiée dans les années 50 avec la fourniture d’avions de combat Dassault Ouragan / Toofany et d’hélicoptères légers (Cheetah / Chetak)), toujours est-il que les deux pays ont considérablement développé leur partenariat de défense depuis son lancement en 1998 et l’accord bilatéral de coopération technologique en 2006. Aujourd’hui Dassault, EADS, MBDA, Safran, Thales, DCNS, Nexter cherchent le Graal et signent des commandes. Les dernières en date sont plutôt juteuses. En 2009, Thales s’est vu confiée 19 radars pour 110 millions d’euros, avec une production en partenariat avec Bharat Electronics Ltd. Puis, en 2011, un contrat de modernisation de 51 Mirages 2000 des Forces Armées Indiennes a été signé par Dassault Aviation et Thales pour 1,5 milliards d’euros. En 2012, le Rafale de Dassault a finalement été sélectionné au détriment de l’Eurofighter d’EADS pour les 126 avions de combat et 10 milliards d’euros bien que le contrat ne devrait pas être signé avant 2015. Aujourd’hui Nexter s’est aussi positionné dans le domaine de l’artillerie, en proposant son système de canon tracté CAESAR en coopération avec l’indien Larsen & Toubro et son système TRAJAN.

Les contrats avec la France semblent donc sur une belle lancée, l’hexagone paraît avoir bien compris les obligations de discussions et de productions bipartites. Les entreprises françaises qui souhaitent investir dans le marché indien de la défense établissent une filiale. Enregistrée en Inde, cette nouvelle entité est soumise au droit indien des sociétés. Certes, elle représente un investissement conséquent et du temps mais l’intelligence économique permet en amont de préparer l’implantation, donc de réduire les risques d’échec. Les sociétés doivent aussi se faire connaître. Exceptés Thalès et EADS, elles sont relativement peu connues en Inde. Une campagne de communication voire d’influence ciblée s’impose pour gagner en visibilité au moment voulu et au final signer avec des entreprises publiques et des conglomérats indiens.

Sur cette vague positive, le Premier ministre Manmohan Singh paraît même vouloir renforcer le partenariat stratégique franco-indien, il l’a évoqué le 14 juillet 2013 et pour preuve, un appel d’offres unique en direction de la France serait envisagé pour la rénovation des M2000. Il concernerait Thales, Dassault, SNECMA et MBDA. La France soutient en parallèle le programme sol-air Short Range Surface to Air Missile (SRSAM) pour le co-développement d’un nouveau missile entre l’agence indienne DRDO, et la filiale MBDA. L’hexagone réalise aussi le moteur pour avions baptisé Kaveri. Ce dernier est destiné au fameux Tejas et sera co-développé avec SNECMA (SAFRAN). Les perspectives industrielles se multiplient. Aux dernières nouvelles, il serait aussi probable qu’elle présente lors de prochains appels d’offres le ravitailleur européen A330 MRTT, les hélicoptères d’Eurocopter, tout comme l’A400M, à plus long terme. 

Les motoristes russes sont-ils aujourd’hui à la traine ? Les français rattrapent-ils leur retard ? Ces derniers cherchent aussi à faire valoir leur expérience reconnue dans la Marine française pour favoriser un axe de coopération important :  la lutte anti-piraterie et la surveillance maritime, un domaine alléchant pour l’Inde en proie à différentes problématique sur le sujet. Les deux nations coopèrent déjà depuis 2008 dans le Golfe d’Aden et l’expérience semble positive, ce qui est encourageant pour la suite et les éventuelles affaires à venir.

Au fond, la réussite des entreprises de défense françaises en Inde dépend non seulement de leur compréhension du marché indien, mais plus encore de leur anticipation, de leur réactivité et de leur combativité. Une démarche d’intelligence économique adaptée s’avère un facteur clé de succès déterminant.

Eric Lambert
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