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DEFENSE & SECURITE

Accords Franco-Britannique de défense : pragmatisme français et lucidité britannique

Victanis Advisory Services GmbH
2018-10-06
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"Les nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts [1]" - Charles de Gaulle

"We have no eternal allies, and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual, and those interests it is our duty to follow [2]." - Lord Palmerston

Introduction

Ces deux citations, proférées à deux périodes différentes, par un Président en exercice pour l’une et un chef de la diplomatie pour l’autre sont emblématiques des visions françaises et britanniques de leurs politiques étrangères et militaires et de l’appréciation respective qu’ils portent sur l’autre partie.

La France et le Royaume-Uni ont avant tout des intérêts, par nature fluctuant, les amenant à réviser leurs amitiés et à changer leurs alliances en fonction du développement ou de la défense des dits intérêts. Les cinq dernières années ont vu des objectifs convergents renforcer la coopération en matière de sécurité et de défense. Des interventions militaires communes, des problématiques de sécurité semblables et la nécessité respective de réduire leurs dépenses de défense, ont amené les deux pays à travailler l’un avec l’autre. 

Mais l’arrivée au pouvoir à Londres d’un gouvernement conservateur, ouvertement eurosceptique, demandeur d’une réforme de la gouvernance de l’Union face à un gouvernement français obligé au grand écart permanent entre Londres et Berlin, et bientôt sujet à des contraintes électorales, devrait à nouveau faire évoluer, voire changer, la nature de la relation franco-britannique. 

Rappel Historique

Sans remonter les quelques 900 ans et plus de relations franco-anglaises puis franco-britanniques ils est, sans nul doute possible, d’affirmer que les relations entre Londres et Paris ne furent pas linéaires, depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Ce n’est donc pas des années mais des décennies qui furent empreint d’une certaine prudence, pour ne pas dire de méfiance, comme le rappelle Benoît Gomis dans son analyse parue en 2011 sous les auspices de Chatham House et dénommée Franco-British Defence and Security Treaties:Entente While it Lasts?

Cette relation émaillée des deux vetos du Général De Gaulle en 1963 et 1967 à l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE, de l’opposition parfois frontale entre le Président Mitterrand et Lady Thatcher concernant la construction européenne et enfin de l’inexplicable soutien de Tony Blair à Georges Bush concernant la guerre en Irak ne plaident pas pour un retour à l’entente cordiale.

La coopération en matière de sécurité et de défense n’est, d’ailleurs, pas exempte de ces « incompréhensions », la Cour des Comptes en France et l’écosystème de défense français ayant encore en mémoire l’épopée récente du fameux projet bilatérale du PA2 et des T45 « Daring » initialement projet Franco-Britannico-Italien.

Ce n’est donc pas une relation pleinement apaisée que relancent officiellement les accords de Londres, signés en 2010.

En effet, bien que, depuis 1956, les deux pays utilisent leurs outils diplomatiques et militaires afin de conserver une influence internationale, leurs stratégies d’utilisation en ont été fondamentalement différentes. À la suite de la crise de Suez, les deux anciennes grandes puissances adoptent un positionnement stratégique radicalement opposé. 

Alors que Londres se positionne comme le loyal allié des États-Unis, optant pour une forte interopérabilité avec les forces et les services de renseignement américains, la France choisie de suivre une voie alternative et plus indépendante investissant massivement dans sa dissuasion nucléaire puis dans une capacité de renseignement indépendante ayant vocation, dans la vision gaullienne, à poser les bases d’une capacité de défense (industrielle et opérationnelle) et de renseignement européenne indépendante des USA.

Les restes de cette politique, qui s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 90, permettent encore à la France de ce début du 21ème siècle de disposer d’une plus grande indépendance stratégique que les britanniques à l’égard des Etats-Unis et la rende méfiante des liens existant entre le Royaume Uni et le grand frère américain.

Compte tenu de ces différences, pourquoi et comment le Royaume-Uni et la France peuvent-ils coopérer plus étroitement ? 

Le présent 

Les situations françaises et britanniques, malgré des postulats de départ différents, ne sont plus en ce début, de siècle, très différentes l’une de l’autre.

La conclusion des accords de Londres en 2010 ne serait donc, selon Benoît Gomis, que le fruit d’évolutions ayant pris racine depuis le milieu des années 90 et qui se sont intensifiés depuis le retrait britannique d’Irak.

Avec le recentrage de la politique étrangère américaine sur le Pacifique, le Royaume-Uni risque de ne plus avoir la même importance pour les Etats Unis. La relation « spéciale » n’a donc plus cours et le statut de « premier allié » n’échoit plus aux britanniques. Les forces armées, après plus d’une décennie d’opérations en Afghanistan et en Irak sont au plus bas de leurs capacités (l’ancien chef d’état-major, Sir Richard Dannatt, ayant même déclaré que les armées de sa Majesté « se briseraient » sur le récif irakien) et le Foreign Office, après tant d’années d’alignement sur Washington, n’a plus la même crédibilité sur la scène internationale.

C’est du moins l’avis de plusieurs experts de la politique étrangère britannique reprochant à Tony Blair l’hypothèque de la défense britannique jusqu’en 2050 et la perte d’influence du Royaume-Uni liée directement à sa perte de crédibilité en tant que puissance indépendante des Etats-Unis. Citons à ce propose l’excellent ouvrage de Jolyon Howorth « Tony Blair : premier bilan stratégique » paru en 2007 à l’IFRI qui détaille les conséquences des choix que le gouvernement Blair fait à partir de 2002 et dont les effets sont, plus que jamais, perceptibles dans la politique de défense et de sécurité britannique.

Donc, face à un risque net de déclassement et à un éloignement de son principal allié, le Royaume-Uni doit envisager de nouvelles alliances lui permettant de projeter son positionnement sur les décennies à venir. 

La France, elle, fait face à un challenge différent mais aux attendus semblables.

L’absence apparente de cohésion en Paris et Berlin sur les questions de défense et de sécurité et la perte du leadership français en Europe au profit de l’Allemagne n’est que le résultat le plus visible d’un affaiblissement de l’influence politique et stratégique de Paris concernant les affaires européennes de défense en particulier et la conduite de l’Europe de manière plus large. Le moteur franco-allemand n’existe plus et le premier allié de la France en Europe décide sans elle. 

La démarche conjointe avec les britanniques est donc très pragmatique et vise uniquement à maintenir des capacités industrielles et opérationnelles s’érodant depuis le milieu des années 90 et que le ralentissement économique et la réduction subséquente du budget de la défense ces dernières années ont accentués alors même que les Armées sont sollicitées en permanence sur des théâtres d’opérations extérieurs depuis bientôt 25 ans.

Le partenariat avec le Royaume-Uni vise également à conserver des moyens tout en créant une alliance militaire permettant aux deux pays de garder une capacité industrielle et opérationnelle autonome ainsi que le leadership militaire européen.  

L’avenir

Pour le moment le Royaume-Uni et la France ont des priorités convergentes et pragmatiques. Deux éléments peuvent néanmoins venir ternir ce partenariat utile aux deux parties.

La première pierre d’achoppement sera probablement européenne. Leurs visions à court terme de l’avenir de l’Union peut (va) différer. Les très probables divergences sur la sécurité et la défense européennes peuvent entamer le partenariat stratégique entre les deux parties. La France n’est pas suffisamment claire concernant ses ambitions relatives à la politique de sécurité et de défense commune trop souvent considérée à Paris comme un objectif prioritaire pour permettre à la France de reprendre toute sa place dans le jeu européen. Elle va devoir convaincre un gouvernement britannique que ses ambitions en Europe ne viendront pas entraver le partenariat franco-britannique. 

La France entrant dans une période pré-électorale, il est également possible de s’interroger sur le retour au pouvoir de la droite dont la germanophilie, pour les uns, ou la vision gaullienne, pour les autres, éloigneraient durablement la France de la Grande Bretagne. L'influence croissante d’Alain Juppé, qui adhère à la tradition gaulliste de privilégier les relations européennes et pourrait faire émerger des divergences stratégiques, en est un exemple.  

La seconde difficulté, plus pratique celle-là, est le partenariat industriel. Le passé récent nous montre que le Royaume-Uni a abandonné un certain nombre de programmes, tels que les frégates Horizon, celui, au combien médiatisé, du porte-avions commun et d’autres relatifs à la communication par satellite. La Cours des Comptes a récemment rappelé le poids dans les dépenses publiques de ces abandons de programmes. La France et la DGA[3] étant donc, à juste titre, prudentes dans les programmes actuellement en cours ou prévus dans les années à venir dans le cadre des accords de Lancaster House.

De plus, les deux stratégies de soutien à leurs BITD[4] respectives divergent. La France conserve une politique protectionniste de ses marchés et de son secteur industriel de la défense, qui est en grande partie menée d’une main de fer par l'Etat au travers de la DGA. On retrouve ici l’influence de Colbert et cette vision gaullienne concernant le rôle central de l’Etat dans l’animation et le développement d’un secteur stratégique.

Le Royaume-Uni a opté pour une approche différente pour son secteur de la défense, considérant traditionnellement que le marché de la défense ne diffère pas des autres marchés et devrait donc être libre. Le MoD ne conservant qu’une influence restreinte au travers de quelques agences (DSTL[5], UKti DSO[6] ou CDE[7]) dans l’animation, le développement et la promotion de la BITD britannique.

L’industrie de défense britannique conservant des liens forts avec les Etats-Unis et les Groupes français de défense ayant un tropisme franco-allemand et européen comme en témoigne la très récente fusion NEXTER-KMW.

Il semblerait donc, que ces deux approches radicalement différentes pourraient constituer une pierre d’achoppement dans la collaboration industrielle qui constitue pourtant l’un des deux piliers des accords de Londres. 

Conclusion

Si la France et le Royaume-Uni souhaitent que les traités de Londres continuent au-delà des déclarations d’intention, il est temps que les deux gouvernements se concentrent sur la nécessité de délivrer, à court-terme, des résultats industriels tangibles.

Une approche conjointe sur les sujets des drones aériens et sous-marins, du futur missile antinavire léger et les études pour le système de combat aérien du futur, lancée durant le sommet de Brize-Norton en 2014, devraient délivrer ces résultats tangibles permettant d’illustrer la pertinence de l’approche pragmatique de la collaboration. 

D’un point de vue politique, le retour sans partage des Conservateurs au pouvoir va obliger la partie française à comprendre et accepter les réticences des officiels britanniques pour faire participer le Royaume-Uni à des projets européens surtout quand ces derniers engagent plusieurs parties. Avec un référendum sur l’appartenance à l’Union promis dans moins d’un an, toute tentative de se servir des accords de Londres comme d’un cheval de Troie pour amener les britannique dans la politique commune de défense et de sécurité européenne ne ferait que fragiliser la relation franco-britannique alors même que les résultats de la prochaine « defence review, » attendue pour Octobre, devraient accentuer la nécessité de la collaboration franco-britannique. 

Enfin, les deux premières puissances militaires en Europe n’ont pas le choix que de collaborer ensembles puisqu’elles demeurent les seuls ayant les compétences et les moyens humains et matériel de le faire.

 

Sources

[1] France has no friends, only interests

[2] Nous n’avons pas d’Alliés éternels, ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts seuls sont perpétuels et éternels, et il est de notre devoir de poursuivre ces intérêts.

[3] Délégation générale pour l’Armement, The French procurement agency

[4] Base Industrielle et Technologique de Défense

[5] Defence Science and Technology Laborator

[6] United Kingdom Trade and Investment Defence and Security Organisation

[7] Centre for Defence Enterprise

Eric Lambert
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