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DEFENSE & SECURITE

Développement naval européen et options commerciales : tous à l’eau ?

Victanis Advisory Services GmbH
2019-10-03
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Un changement structurel semble une réalité inévitable pour les champions européens de la construction navale. Alors que les débouchés économiques en Europe et dans le monde n’ont pas été si nombreux ces dernières années, une consolidation sur le long terme amène de nombreux défis et changements, nécessitant courage politique et une certaine créativité commerciale.

Introduction

L’époque semble désormais révolue où l’industrie de construction navale était considérée comme le secteur de l’industrie de défense évoluant le plus rapidement, ou même comme un facteur entraînant l’ensemble du secteur de la défense. Mais l’industrie navale européenne pourrait être sur le point d’adopter un nouveau tempo. L’objectif de cette note n’est pas d’entrer dans le détail des stratégies, industries et stratégies maritimes (généralement un domaine réservé aux plus avertis !), mais plutôt de présenter avec recul quelques changements de l’offre et de la demande qui pourraient s’avérer bénéfiques pour le futur du secteur naval en Europe.

Le marché de la construction navale militaire est généralement un marché lent et relativement peu attrayant en termes de croissance et de revenus. Il se caractérise par des temps de développement intrinsèquement longs, des périodes de production prolongées d’un faible nombre d’unités, qui requièrent de longues périodes d’entretien et de multiples programmes d’amélioration au cours de la vie d’un navire.

Par ailleurs, le maintien de la capacité à construire des bateaux militaires est souvent considéré comme un enjeu essentiel pour des raisons de sécurité nationale. Ainsi, de plus en plus de pays cherchent à développer leurs propres capacités de construction navale. C’est aussi le cas de l’Europe qui, par conséquent, possède un marché éparpillé et de plus en plus caractérisé par de larges subventions publiques, mais aussi par la préférence nationale et une offre excédentaire chronique. Chaque pays ou presque possède en effet son propre ‘champion national’ : BAE Systems et Babcock au Royaume-Uni ; Naval Group en France ; Fincantieri en Italie ; Navantia pour l’Espagne ; l’alliance des TKMS, Blom & Voss et German Shipyards en Allemagne ; Damen aux Pays-Bas et enfin Vard en Norvège.

Néanmoins, la combinaison de la nécessité industrielle de conserver ces champions nationaux, et un besoin accru de navires militaires dans le monde ont déclenché une volonté indéniable de développement, forgeant autant d’opportunités pour les constructeurs navals. Ces opportunités seront de plus de longs étant donné les délais de développement et de construction dans le secteur, et les revenus en service associés avec la construction de ces bâtiments.

Consolidation et stratégies navales futures

En Europe, la nouvelle de l’année dans le monde de l’industrie navale est indubitablement celle des tentatives de fusion graduelle des activités de Naval Group (France, ancien DCNS) et de Fincantieri (Italie), qui a abouti à l’annonce d’une joint-venture commune il y a quelques jours. Cette initiative cache toutefois l’échec d’une intégration plus poussée, mise de côté, tout comme l’échec pour le moment du partenariat controversé Thales-Leonardo. À l’image de l’ancienne, et qui semble désormais lointaine, perspective de fusion Airbus-BAE Systems. Néanmoins, la consolidation a longtemps été considérée comme la solution à la surcapacité de production à travers l’Europe, avec le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suède, la Norvège, l’Espagne et les Pays-Bas qui continuent de maintenir des capacités de construction de vaisseaux et sous-marins, en produisant non seulement pour leurs marchés intérieurs mais entrant aussi en compétition les uns contre les autres à l’étranger.

L’accord proposé entre Naval Group et Fincantieri fut précédé, du côté italien, par l’acquisition du constructeur naval norvégien Vard en 2013 et, plus récemment, par l’achat de 50 % des parts des chantiers navals français STX. Du côté français, Thales a augmenté sa participation au capital de Naval Group de 25 à 35 %, avec 62 % toujours possédés par l’État français.

La participation de Thales est importante dans le cadre de ces négociations, puisqu’il n’y a pas d’équivalent côté italien d’un systémier possédant une part significative de Fincantieri (dont le gouvernement italien contrôle 72 %). Autrement dit, une fusion au niveau des chantiers navals a rendu Leonardo très nerveux, ne sachant pas si cela serait un désavantage vis-à-vis de Thales lors des appels d’offres pour de futurs contrats avec Naval Group-Fincantieri. Il faut aussi pointer un autre détail de la plus haute importance : le gouvernement italien possède également 30% de Leonardo ! Cette dynamique typique sous-tend la réalité que, même si la consolidation de la défense européenne semble judicieuse sur le papier (et à Bruxelles), la mettre en place au niveau commercial et intérieur reste terriblement difficile et lié au bon vouloir des Etats.

Cependant, la proposition de fusion était une tentative de rationaliser la construction navale européenne afin de la préparer pour les prochains changements structurels inévitables, dont l’impact sera ressenti d’ici dix à quinze ans. C’est une indication que l’on commence à s’intéresser aux changements structurels en Europe. Les deux entreprises ont des ventes combinées de presque neuf milliards d’euros, mais seulement 400 millions de résultat opérationnel (4,4 % de marge opérationnelle). Même si l’augmentation des ventes a été sensiblement équivalente pour chaque entreprise, il est donc devenu de plus en plus ardu de générer un profit au niveau opérationnel : un aspect typique pour tous les chantiers navals européens. Il est depuis longtemps établi que pour que l’industrie navale européenne soit durable, elle doit être consolidée et devenir plus efficace en termes de construction et de coûts d’acquisition.

Une opportunité de croissance ?

Qu’en est-il de la demande ? Tandis que la France n’a, pour les vingt prochaines années, que de modestes plans de remplacement de bâtiments obsolètes et de sous-marins, et que l’Allemagne a besoin de frégates, de corvettes et de deux nouveaux sous-marins, l’Italie et le Royaume-Uni prévoient pour leur part des plans de construction plus significatifs, qui entraîneront une augmentation des dépenses navales dans les vingt prochaines années.

En raison de coupes budgétaires opérées par le gouvernement italien, la Marine italienne n’avait pas bénéficié de larges investissements ces dix dernières années. Cependant, la crise migratoire ainsi que les effets des retards des programmes de remplacement supposent que, dans les prochaines années, puissent émerger des programmes pour des frégates, péniches de débarquement, patrouilleurs, bâtiments de soutien et plus particulièrement un nouveau porte-hélicoptère.

Aux Pays-Bas, un rapport parlementaire a de la même façon révélé l’état précaire de préparation de la Koninklijke Marine, et qu’un certain nombre de programmes reportés pendant de nombreuses années ne peuvent plus permettre de l’être aujourd’hui. Par conséquent, 1,5 milliard d’euros de plus ont été alloués à la Marine jusqu’à 2020.

Enfin, et surtout en termes de format, la Royal Navy profitera d’une période favorable pour encore de nombreuses années, notamment en ce qui concerne la part qui lui est allouée dans le budget défense britannique. La combinaison des décisions d’acquisition d’un porte-avions et du F-35 ont poussé l’attention sur les programmes Type 26 et Type 31. Car pour déployer un groupe naval crédible, il faut en effet un nombre minimum de bâtiments de protection et de soutien sont nécessaires pour opérer à côté du nombre limité de Type 45. Sans escortes de ce nom, un format sans augmentation aurait fait des porte-avions (désormais achevés) rien de plus que de très chères attractions touristiques.

Le problème de la protection des porte-avions est effet de plus en plus un sujet, en raison notamment de l’augmentation de l’activité des sous-marins russes en Mer du Nord, qui a conforté la décision britannique de commander un nouveau sous-marin d’attaque de classe Astute. L’acquisition de systèmes sous-marins va également bénéficier d’un élan provenant du programme de remplacement des SNLE britanniques par la classe Dreadnought ; la construction de deux bâtiments ayant déjà commencé.

Ainsi, en raison de dépenses reportées et de programmes de remplacement ne pouvant plus être mis de côté, le marché pour l’équipement naval de défense est témoin d’une renaissance fulgurante qui, étant donné la longueur des délais de construction et de durée de vie des plateformes, durera un temps conséquent, en particulier si les chiffres d’affaires des services de soutien sont pris en compte. Ce soutien en service a aussi tendance à dégager une marge bien plus haute, de la même manière que le maintien en conditions opérationnelles de l’aviation est bien plus profitable que la fabrication d’un avion.

Au niveau mondial : la concurrence à l’export

Malgré des signes de renaissance de l’acquisition navale en Europe, les constructeurs navals européens se concentrent de plus en plus sur des opportunités à l’étranger, qui sont considérées essentielles pour renforcer la production et maintenir des capacités stratégiques de construction navale viables.

En réalité, dans quelques zones clé du monde, les dépenses de défense ont en général une trajectoire ascendante et ce sont les acquisitions qui reçoivent la part du lion de ces ressources. Au Moyen-Orient, les tensions continuent de grimper entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, ce qui a tendance à inquiéter leurs voisins. Les dépenses navales ne sont pas la réponse systématique dans des eaux congestionnées comme celles du Golfe Persique, mais nous pouvons remarquer une certaine insistance sur la sécurité côtière.

Mais c’est principalement dans la région indo-pacifique que la demande pour de nouveaux moyens navals attire l’attention des constructeurs et des fournisseurs du monde entier. Les revendications et contre revendications des eaux et des îles proches de la Chine ont déjà mené un nombre significatif de pays à faire valoir leurs droits dans leur ZEE grâce à leurs patrouilleurs hauturiers, comme les Philippines, la Malaisie et le Vietnam.

Le point déstabilisant est que la Chine soutient que sa ZEE devrait correspondre à la totalité de la Mer de Chine Méridionale, y incluant non seulement les îles s’y trouvant, mais s’accordant aussi les droits de pêche sur toute la région. Bien évidemment, il existe un impératif stratégique bien plus large pour la Chine, qui est le contrôle des voies maritimes étroites afin d’assurer le flux de matières premières vitales pour le pays sur le long terme. La Chine utilise à la fois sa marine et ses garde-côtes, et coopte occasionnellement des flottes de pêche pour sonder et tester, contrôler et affirmer sa domination autour des eaux vietnamiennes, philippines et indonésiennes.

Ce facteur a aussi poussé des pays comme l’Australie, Singapour, et plus particulièrement l’Inde à concentrer leurs ressources de défense sur leurs atouts navals afin d’assurer une présence dans cette zone vitale en réaction aux visées hégémonistes chinoises. L’annonce récente du contrat Type 26 pour la Marine Australienne et le signe le plus récent de ce nouveau focus stratégique. Cependant, ce contrat indique un renouveau de l’intérêt porté par les marines de l’Europe de l’Ouest pour cette zone. Le contrat Type 26 australien fut gagné parallèlement à un approfondissement du partenariat entre le Royaume-Uni et l’Australie. La France ainsi que le Royaume-Uni ont entrepris des opérations de ‘liberté de navigation’ dans la Mer de Chine Méridionale, pour afficher leur soutien à une internationalisation continue des eaux revendiquées par la Chine comme faisant partie de sa sphère. Aussi provocantes qu’elles soient, ces opérations témoignent néanmoins d’une attention grandissante portée à la région indo-pacifique et montrent une volonté d’intervention, de manière non cinétique et dans le cadre d’alliance avec d’autres partenaires.

Il est donc tout à fait probable que, pour des pays plus petits, moins avancés mais plus proches, une attitude de réponse limitée à l’échelle tactique aux incursions chinoises (de toute nature) soit combinée à une approche stratégique d’interdiction de zone en termes de composition de leurs forces. Cela voudra dire que les OPV ainsi que les frégates multi-missions et corvettes continueront d’être demandées dans la région.

Quelques constructeurs navals européens ont déjà bénéficié de la demande d’OPVs dans la région, notamment Damen (Pays-Bas), BAE Systems (Royaume-Uni), Lurssen (Allemagne) et Ocea (France). Cependant, dépasser la classe des corvettes en termes de taille restreint le nombre de pays pouvant fournir de tels bâtiments. La capacité à fournir des sous-marins pouvant opérer dans des eaux littorales dans cette zone est encore plus restreinte. Néanmoins, l’Europe dispose de plusieurs entreprises dans le domaine en compétition pour remporter les contrats lucratifs.

Conclusion

La construction navale européenne semble à peine rentable dans les conditions actuelles, et l’augmentation de la concurrence au niveau mondial signifie que les entreprises navales nationales devront se reposer sur les subventions publiques pour survivre, jusqu’à un degré non-soutenable.

Tandis que le marché mondial reste prospère et lié à une certaine hausse des dépenses intérieures, les constructeurs européens devront toutefois travailler dur pour rester viables. Il est probable que cela requiert une réflexion sur de nouveaux moyens de fusions créatifs, à l’image de la nouvelle joint-venture franco-italienne, afin d’établir un secteur naval pouvant rester à flot sur le long terme.

Chris Cradock
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