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DEFENSE & SECURITE

Maritimisation de la défense française, une réalité depuis 10 ans

Victanis Advisory Services GmbH
2020-03-31
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A la lecture du rapport intitulé "Maritimisation : la France face à la nouvelle géo-politisation des océans",  La France et ses élites politiques semblent se redécouvrir comme la seconde nation mondiale par l’espace maritime détenu (11 Millions de Km2) et le nombre de kilomètres de littoral qui la bordent. 

Si on en croit la volonté des deux chambres de faire travailler les deux commissions idoines (entendre celles de la défense et des affaires étrangères) durant ces 6 derniers mois, on peut avoir un (faible) espoir de voir la Nation prendre conscience que sa stabilité, sa sécurité, ses intérêts économiques, son influence politique sont irrémédiablement liées à sa capacité à contrôler, protéger et exploiter ses ZEE (Zones économique exclusives) et les routes maritimes par où transitent bon nombre de ses moyens de subsistance et où transiteront les fruits de l’exploitation de ses ZEE, riches de ressources désormais trop rares. 

Alors que même que la mondialisation rend de plus en plus indispensable la coopération, et même l'interdépendance entre les nations dans des domaines larges comme la défense, la sécurité (ex : la piraterie, les trafics de stupéfiants, d’armes, d’êtres humains) ou encore l’économie (transport d’hydrocarbures, de biens manufacturés…..), alors même que la notion de frontière semble s'estomper, l’évolution des menaces provenant de l’espace maritime mêlent de plus en plus la notion militaire avec celle de la sécurité au sens civil.

En un mot si le maintien de forces navales demeure indispensable à la défense de nos intérêts sur mer, ce même outil peut-il conduire des actions de sécurité et de sûreté devenues primordiales tant d’un point de vu géostratégique que politiques (cf : la lutte contre l’émigration clandestine) ?

Pour répondre à cette question globale, à l’heure de la pire crise que la société occidentale et ses Etats aient à subir, les approches communes de coopération permettant rationalisation des coûts et promotion de la coopération internationale (notamment en Zone UE) sont devenues vitales.

Pour réponde à ces challenges d’un type nouveau, la Flotte a, en 2002, mis en œuvre une politique dite MSO (Maritime security operation) en français « Opérations de sécurité maritime », nommée « maritime safeguard / sauvegarde maritime », et a consacré ces dix dernière années 30% de ses ressources à la réalisation de ces missions. N’oublions pas ce chiffre, lorsque nous aborderons plus avant dans ce document, la nécessité de renouveler ou moderniser entre 75 et 100 % des équipements sur la prochaine décennie sous peine de ruptures capacitaires et de pertes de compétences définitives.

Contexte et emploi

La conception française de l'OSM considère que les deux domaines, maritime et naval, doivent faire l’objet d’une approche mêlant politique de défense et de sécurité afin de permettre une anticipation maximale des risques et menaces et une optimisation des déploiements de matériels. En 2002, la compétence « multi-moyens » et la capacité lointaine de projection des unités permettaient (relativement) facilement de fonctionner sur tout le spectre des menaces identifiées.

Le concept lui-même reposait à sa conception, et repose toujours, sur un système de sauvegarde maritime permanente, organisée en une succession de moyens navals et aériens coordonnés par un centre de commandement basé à Terre (cf les Préfectures maritimes en métropole et les états-majors régionaux dans les DOM-TOM) conjointement contrôlée par à la fois la Marine et d’autres administrations (telles que les Douanes, la Gendarmerie maritime, la sécurité civile…).

Parmi ces actions, on compte des patrouilles de haute mer (réalisées par des unités de premier et second rang) permettant de rester aussi près que possible des menaces. Seule « administration » à les mettre en œuvre la Flotte en prend la charge organisationnelle et budgétaire.

Les forces impliquées dans cette « surveillance maritime » sont alors sous commandement militaire dans le cadre d’opérations de défense ou de combat mais peuvent être également, sur ordre du Premier ministre, placée sous l’autorité opérationnelle d’autres administrations dans le cas de missions réalisées dans un cadre interministériel.

Afin de coordonner et d'organiser ces missions multitâches et multi-administrations, ainsi que pour assurer le maintien de la coordination des moyens, les préfectures maritimes sont toutes à la fois des centres de commandement militaires et des centres de coordination civils de l’action de l’Etat en mer. 

Cette organisation voulant mêler moyens militaires à l’action civile de l’Etat sur la mer conduit la Flotte à conduire à trois types de missions distinctes :

1) D'abord, celles dédiées à la défense maritime du territoire français

Elles ont pour vocation la sécurité et la défense des eaux territoriales et des ZEE. A cette mission est inclue une défense « sur l’avant » des installations littorales (Bases et ports militaires).

Affirmation de la souveraineté de la République sur ses territoires. C’est là une mission régalienne que la Flotte assure dans les eaux de métropole et des départements et territoires d’Outre-Mer.

Citons pour l’exemple : 

  • La protection permanente des abords et de la base de l’Ile Longue et des chenaux de sortie des SNLE(s). 
  • Les escortes de vaisseaux de commerce dans les zones de conflits ou sensibles (zones de piraterie, zones de tension (cf : Ormuz)).
  • La surveillance des ZEE et des zones de pêches (tenant plus à des opérations de police) au large des DOM – TOM sub-équatoriaux. (……..le capitaine Wilsdorf étant habituellement plus au Nord)

2) La seconde mission incombant à la Flotte est la prévention des risques par la surveillance et le renseignement des zones à risques.

Ces missions de collectes d’informations (naval intelligence operation) sont toutes à la fois des missions de défense (observation de navires de flottes locales ou potentiellement adverses) mais également de sécurité (incombant à des navires basés en  métropole pour l’Atlantique et la méditerranée et à des unités pré-positionnées dans les TOM pour les océans indien et pacifique.

Mission de sécurisation des routes maritimes de commerces (indispensable à l’approvisionnement en hydrocarbure notamment), d’affirmation de la présence militaire française à tout endroit où les intérêts nationaux ont besoin d’être réaffirmé ou défendu. On peut ajouter à ce deuxième volet, la capacité de la Marine à apporter vivres, matériels, moyens médicaux et sanitaires à toute région touchée par une catastrophe naturelle. L’intérêt de disposer de bases et d’infrastructures telles que Papeete (Polynésie), Port des Gallets (La Réunion) ou Nouméa (Nouvelle Calédonie) est donc indissociable de la capacité de projection multi-mission de la Flotte.

3) Enfin, la Marine est également obligée de prendre part à des missions interministérielles.

Ces missions, que l’on peut qualifier de Police (et qui sont mis en œuvre aux USA par les « Coast Guard », un corps dédié.) s’effectuent souvent en collaboration avec les Douanes et les services de Police ou de renseignement. Nous parlons ici  de lutte contre le trafic d’armes, de stupéfiants, de lutte contre des mouvements terroristes ou des organisations mafieuses (type cartel), mais également de sauvetage en mer et de surveillance des navires civils responsables (notamment dans des zones côtières comme le Rail de Sein) de pollution et d’actes en contradiction avec la loi ou la sécurité en mer.

Cette dernière mission est donc une mise à disposition de moyens militaires à des fins civiles.

Les trois compétences de la Marine lui permettant une mise en place, jusqu’à présent efficace de l’OSM sont donc :

  • Une capacité d’intervention à large spectre grâce à ses matériels et infrastructures
  • Une capacité de renseignement globale (en lien avec les autres services et outils des armées et des services de renseignement)
  • Une capacité à mener en coopération avec d’autres administration des missions sous contrôle civil ou au bénéfice de la société civile. 

On peut donc constater que la Flotte (en France mais le cas est aussi vrai au Royaume – Uni) mène des missions pour lesquelles d’autres pays ont choisis de créer des corps spécialisés. 

En effet on ne peut que s’interroger sur le coût global (Equipage, fatigue des matériels,…) de déploiement d’un bâtiment de premier rang pour faire de l’anti-piraterie au large d’Aden ou du sous-emploi par sous équipement de bâtiments comme les frégates de classe Lafayette devenues par la force des choses les plus gros OPV, furtifs de surcroît, du Monde.

Quelle politique pour la perpétuation de la présence de l’Etat en Mer à budget constant et quelles évolutions des outils navals au niveau Européen ?

L’état-major de la Marine estime que, compte tenu des enjeux et des menaces auxquelles fait face notre pays et de manière plus élargie l’Europe elle-même, cette action ne peut pas être traitée par la seule Flotte française. En effet la sécurisation de l’espace maritime, la protection des routes maritimes nécessaires à l’approvisionnement de la Métropole, consomment des moyens tels que les capacités de plus en plus réduites depuis 2000 de la Flotte ne suffiront bientôt plus pour porter et défendre les intérêts de la France dans le Monde.

Disposer d’une Flotte de haute mer, aux capacités d’interventions globales, nécessite d’investir durablement dans sa modernisation et son renouvellement. Des grands programmes repoussées d’un exercice budgétaire sur l’autre, retaillés à la baisse (voir les programmes HORIZON et FREMM) ont forcés la Marine à puiser de plus en plus loin dans ses réserves et à surexploiter ses bâtiments déjà lourdement engagés. De fait aujourd'hui, comme d’autres armes, la Flotte est en rupture capacitaire. Obligée de prioriser ses moyens et ses capacités de combat, ce sont les missions de présence et de sureté (de police en un mot) qui en seront réduites. La protection de zones économiques vitales mais plus encore des populations locales, intérêt géostratégique dans le premier cas, obligation régalienne dans le second,  ne seront donc plus assurée.

C'est donc de la préservation de la présence de l’Etat dans ses territoires et sa capacité à circuler librement en mer dont la Nation et ses représentations doivent se saisir au plus vite. Au vu des besoins d'approvisionnement métropolitain (et plus largement européens) qui transitent par voies maritime, il y a urgence à réagir pour éviter à moyen terme (une décennie au plus) un affaiblissement de notre Pays et d’une Europe dépendante de la Mer.

En effet, l’espace maritime Européen est actuellement le théâtre de toutes sortes de menaces sécuritaires (et non militaires, nous reviendrons sur ces dernières plus avant) qui devraient être abordées dans un cadre européen.

Autrement dit, il est désormais indispensable de coordonner en un tout cohérent les structures de commandement de chaque membre de l’UE ayant un espace maritime (telles les « Préfectures maritimes » en France ou les « Capitanerie di porto des Guardia Costiere » en Italie), afin de rationaliser et de coordonner la sécurité civile et la police à la mer au large des côtes de l’Union. En un mot faire prendre en charge par l’Union, dans sa globalité, la sécurité de ses frontières maritimes portée à l’heure actuelle par la France, la Grande Bretagne, l’Espagne et l’Italie.

La mise en place, même à moyen terme, d’un corps de « gardes côtes européens » étant une des options permettant une action commune dans un domaine ne nécessitant pas autre chose qu’une coopération civile dotée d’outils existants et bien sûr d’un budget européen permettant, en France, d’alléger la Marine d’une action civile pour laquelle elle a dû s’adapter et alourdir son budget. Nul besoin, donc, d’une politique étrangère ou de défense commune pour ces actions de sureté et de police pour lesquelles les Douanes européennes collaborent fort bien à terre. La rationalisation budgétaire si chère aux édiles Allemands de la commission serait respectée et l’Europe ferait un nouveau pas vers la mise en place d’un corps commun…..utile.

Nous pourrions pousser le raisonnement d’intégration plus avant en dotant ce corps de vaisseaux de haute mer. La France ayant dans la classe Floréal (ou la classe Godwin / Adroit), un outil peu coûteux à la construction de par ses normes civiles doté de moyens de communication satellite (Syracuse), d’intervention (Dauphin) et d’un armement (100mns / 2 x 20 mns et 2 MM38) apte à la mission demandée permettant notamment de renforcer la coopération européenne maritime au large des côtes africaines et à mener des missions d’escorte anti-piraterie (phénomène dont on ne peut ignorer la gravité et le rapide développement).

Bien sûr, sans une volonté et une action politique forte, un tel outil sera difficile à mettre en œuvre mais considérant les enjeux partagés et les moyens réduits de chaque acteur européen, elle apparait être la seule permettant aux différentes flottes de rationaliser leurs budgets et de se concentrer sur des missions purement militaires.

Le cas français : trop de mission, moins de moyens

L’examen de l’évolution du format, de l’âge des bâtiments, et des taux de disponibilité, montre une diminution globale des capacités de la Marine de l’ordre de 30 % depuis 2000.

« Le vieillissement de la flotte conduira dans les prochaines années à des impasses capacitaires majeures notamment dans le domaine des frégates, des patrouilleurs, de la guerre des mines » conclut le rapport sénatorial.

En effet, entre 75 et 100 % des équipements doivent être modernisés ou remplacés dans les 10 prochaines années.

Quels sont les moyens actuels de la Marine Nationale ?

De tous les marines de l’Union, la Flotte Française est la seule avec la Royal Navy à être un outil à large spectre, c’est-à-dire disposant de manière homogène et cohérente d’unités lui permettant d’agir sur les 3 dimensions et sur une longue durée. Mais les récentes (sur les 8 dernières années) réductions de moyens, certes moins importantes que celles qu’à subit la Navy, ont pour conséquence une chute capacitaire importante.

Au titre du précédent livre blanc (dans l’attente du prochain en Janvier 2013) et de la RGPP, la Marine nationale devait supprimer 6.000 postes entre 2008 et 2015, pour atteindre un effectif de 37.000 militaires, 3.000 civils. Un tiers de cette suppression de poste devrait être compensée par la forte automatisation des Frégates Multi-missions (FREMM), lesquels seront servies par une centaine de marins contre 350 actuellement sur les F70.

Cette chute capacitaire se traduit également par le nombre de coque avec le passage de 12 à 11 frégates et le retrait ou la vente de bâtiments jugés obsolescent (BATRAL, TDC, A69) qui oblige au déploiement de bâtiments de premier rang dans des rôles pour lesquels ils sont « overkill » ou surdimensionnés….donc couteux.

Mais, quand les engagements de la Marine nationale augmentent significativement, comme ce fut le cas en 2011, avec une hausse de 12% de l’activité de ses navires (uniquement sur des missions de combat), les tensions apparaissent.

Le GAN fut ainsi successivement engagé dans l’océan Indien (mission Agapanthe) puis dans le cadre des opérations libyennes (dans lesquelles la Flotte engagea 29 navires tous types confondus). Les BPC furent également fortement mis à contribution tout comme le furent les Atlantique 2.

En plus de l’opération en Lybie, la flotte a également lourdement participé :

  • à l’opération Atalante, au large de la Corne de l’Afrique,
  • à la lutte antiterroriste dans le Sahel, en mobilisant jusqu’à trois Atlantique 2, un Falcon 50M, et pas moins, successivement, d’une classe Lafayette et deux Floréal. 
  • à la mission Licorne, en maintenant des moyens amphibies dont 1 BPC près des côtes ivoiriennes, 

A ces opérations, il faut ajouter d’autres missions, comme la dissuasion nucléaire, avec ses 4 SNLE, et ces opérations de Police des mers (lutte contre le trafic de drogue, la police des pêches (3.000 bateaux contrôles, 50 déroutés), recherche et secours en mer : 400 personnes sauvées, et bien sûr l’assistance aux navires en difficulté.).

Si peu de Marines au Monde, et plus encore en Europe, sont en capacité de mener ces missions. On peut s’interroger sur la capacité à long terme pour la Royale d’être, tout à la fois, une force de combat, de police et de souveraineté en ZEE lointaine face à des menaces qui, sur le papier, ne sont pas en mesure de tenir tête à une Flotte de premier rang mais qui dans les faits sont bien plus que latentes. 

Si, la Nation, peut s’interroger sur la nécessité de protéger Papeete et les Kerguelen, sa classe politique le peut-elle (et pourtant elle ne s’en prive pas) ? Certes petits et peu connus, ces territoires ne sont pas sans valeur pour autant. Plus encore que penserait et que ferait le reste du Monde d’une démocratie qui ne peut (veut) assumer son premier devoir : protéger ses intérêts et son intégrité territoriale ?

Si l’on veut se convaincre, reprenons l’exemple du Royaume-Uni de 1982 et qui englué dans une crise financière interne avait fait de sa Flotte l’ombre d’elle-même, s’apprêtant à vendre deux de ses portes avions et avait pour seule défense des Falkland un seul navire de patrouille.

Avec une flotte plus réduite que jamais dans son histoire, un peu de chance et beaucoup de « resilience », le Royaume fit valoir ses droits, militairement.  Ne l’aurait-il pas fait, quelles auraient été les agressions et les atteintes à sa souveraineté sur le reste du globe ?

Si la France ne se donne pas les moyens de défendre et de surveiller ses territoires ultra-marins (voir en cela la théorie de la diplomatie navale d’Hervé Coutau-Bégarie) nos ZEE seront bientôt des fruits murs que d’autres états viendront, au mieux, courtiser.

Joinville disait « Pour avoir une Marine, il faut la vouloir et la vouloir longtemps ». Ajoutons en ces temps modernes… investir dedans et investir massivement...

Investir dans la flotte c’est préserver et défendre nos ZEE. Plus qu’un devoir régalien, c’est devenu une nécessité géopolitique et économique. La Nation doit le comprendre (encore faut-il lui expliquer en quoi « ces bouts de terre » sont si indissociables de son futur et de celui de ses industries) et la France doit le faire seule car en la matière, il n’existe ni amis, ni alliés.

C’est donc, malgré « la Crise », deux défis qu’elle doit relever et relever vite :

  1. La maritimisation de sa défense et la révolution de son outil militaire qui consacre par trop de son budget à une armée de terre qui n’est plus la clé de voute de sa défense ;
  2. Le financement du renouvellement sur 10 ans d’une flotte de premier rang capable de défendre ses intérêts et de maintenir sa présence et son influence mondiale.

 

Sources :

  • « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitisation des océans », 2012, sur www.senat.fr
  • « Le meilleur des ambassadeurs, théorie et pratique de la diplomatie navale », 2012, Hervé Coutau Bégarie
  • « SOUS-MARINS ET DIPLOMATIE NAVALE », 2005, Jean-Louis Lozier
  • « Blog : le Fauteuil de Colbert » 2012

 

Si vous avez une problématique de développement international, n'hésitez pas à faire appel à Victanis, cabinet de conseil en développement international spécialisé dans la défense et la sécurité.

Eric Lambert
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