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DEFENSE & SECURITE

De la puissance militaire française et des conséquences de sa disparition

Victanis Advisory Services GmbH
2018-10-06
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Historiquement la culture géostratégique française est une culture interventionniste et use régulièrement des interventions militaires comme d’un outil de protection (et de propagation) des intérêts nationaux à l'étranger et particulièrement en Afrique. En conséquence, les armées ont menées plus d'une centaine d’OPEX depuis le début des années 1990 (dont une vingtaine sont en cours) avec une nette augmentions des opérations ces 10 dernières années. Cette politique, et les moyens qui la soutiennent, se confronte aujourd’hui à la réalité budgétaire que connaissent nombre de pays en Europe. Les interventions ultérieures, entendre post 11 Janvier, et la nécessité, donc le coût humain, financier et logistique, d’engager les forces armées sur le territoire National dans les mois à venir, vont faire des OPEX ou des interventions visant à régler des conflits extérieurs un luxe rare. Et pourtant, la nécessité de renforcer nos dispositifs en Afrique de l’Ouest et centrale ainsi que la très probable nécessité d’agir en Libye se font un peu plus pressantes chaque jour.

La grandeur (et l’avenir) de la France ne se mesure pas à l’aune des comptables 

En accord avec les autres membres de l'OTAN, que nous n’avions jamais quitté, n’en déplaise aux russophiles, le désir de réduire la dette publique a eu et continue d’avoir une influence forte sur notre politique de défense. En 2010, Brienne présente un budget qui était équivalent à celui de 1981. L'économie française restant engluée dans une quasi-récession, le Livre Blanc de 2013 vise également à réduire davantage encore nos dépenses de défense (bien qu’il ait pourtant donné lieu au duel homérique entre Bercy et Brienne qui aurait réussi à éviter le pire). D'autres baisses importantes peuvent entraîner le chant du cygne des ambitions stratégiques français et un changement possible dans sa culture stratégique. Peut-être avec cette perspective à l'esprit, le budget  2014 de la défense a été fixé au niveau de celui de 2012 (€ 31,4 milliards), mais reste néanmoins à la merci de la politique de François Hollande du "Dépenser juste".

Et encore, la stabilisation annoncée du budget de la défense semble peu probable comme le démontre l’explosion du coût des OPEX et le quasi moratoire sur le dégrèvement des effectifs. L’absence de réponses claires et de mesures fortes (arrêt acté de la baisse des effectifs, meilleurs dotations matérielles, augmentation du nombre d’OPV et de Frégates légères de type Floréal II) est loin d'apaiser les craintes des militaires et de tous les experts (des Thinks tanks réels tel l’IFRI ou l’IRIS ou supposés) qui compose la « communauté de défense » en France. En effet la politique du Livre Blanc 2013,  reste après tout, sauf à révision en urgence, en vigueur et prévoit une réduction interarmées des effectifs de 34 000 personnels, simplement et très récemment suspendue, et la réduction (synonyme budgétaire d’arrêt définitif) de plusieurs programmes d'équipement.

Les évènements récents, l’engagement de la France dans les actions décidées par l’Otan (le gouvernement actuel étant probablement le plus atlantiste que nous ayons connu) et une certaine prise de conscience de la classe politique et de la Nation sur les questions de défense, pourraient amener une évolution que le livre n’envisage pas clairement et se contente de suggérer de manière sous-jacente en actant la préservation des fondements classiques de la défense française et un investissement technologique permettant de maintenir une BITD complète. Une évolution des ambitions stratégiques de la France qui reprend conscience de son rôle de puissance militaire et de son utilité comme vecteur de puissance extérieure comme l’a pertinemment démontré l’intervention du Colonel Goya à la conférence « La défense comme outil de puissance de la France » qui s’est tenu à l’Ecole Militaire le 18 juin 2014. La France continue de se percevoir comme une grande nation et le livre blanc de 2013 n’empiète pas  sur une stratégie de défense qui repose sur les trois piliers de la protection, de dissuasion et d'intervention. Au lieu de cela, il met l'accent sur l'autonomie stratégique et prévoit des investissements qui soutiennent la capacité de la France à intervenir de manière unilatérale ou jouer un rôle clé dans une coalition en ayant, chose rare en Europe, une capacité de Nation Cadre. Dans cet esprit, le document confirme notre volonté de combler les lacunes capacitaires dans des domaines tels que le transport aérien, le ravitaillement en vol et les UAV ou le maintien de nos bases en Afrique, qui, comme les opérations au Mali et en Centrafrique l’ont démontré, sont des outils indispensables pour toutes interventions.

Quid du format d’intervention...

Cependant, même si les différentes lacunes sont comblées au cours des prochaines années, la France évolue vers un format d’intervention unilatérale plus restreinte, de plus basse intensité (le Mali est à ce titre l’exemple de l’OPEX où les troupes furent poussées au maximum pour obtenir le résultat connu). Les interventions futures seront ciblées sur ce que le livre blanc dénomme risques associés aux États défaillants ou faibles et recentrées sur les impératif de sécurité autour de l'environnement voisin (Europe, Afrique et en coalition le Proche-Orient). Ces opérations impliqueront typiquement une force interarmées, de type groupement interarmes renforcés, soit 2,300 à 3000 personnels, capable d'intervenir dans un délai de 5 à 7 jours et sur un rayons de 3000 Kms de la métropole. 

Les opérations conjointes ou en coalition et de haute intensité pourraient avoir lieu simultanément sur deux à théâtres différents, avec la France comme nation cadre et principal contributeur sur l’un des théâtres. Les capacités de projection seraient alors de 15.000 hommes, jusqu'à 45 avions de combat, le CDG avec 12 appareils de combat, 2 BPC Mistral, 2 à 3 frégates de premier rang et un SNA.

Pourtant, alors que la France est susceptible de conserver sa capacité de mener des opérations de haute intensité ou la capacité de mener de front cinq opérations de type SERVAL dans les prochaines années (sous réserve qu’on ne lui demande pas de contribuer à Vigipirate à la même échelle), des opérations plus imitées "à petite échelle" vont devenir problématique.

Bien que Serval ait démontré, une fois de plus, que la France peut être, si elle s’en donne les moyens, forte en termes de conduite d'opérations militaires, elle devra renforcer sa diplomatie, ses capacité à accompagner la reconstruction et le développement et d'autres éléments qui compose un vrai   « soft power » qui sont cruciaux pour le renforcement de la paix et de reconstruction post-conflit.

Un autre problème est lié à la divergences entre le discours diplomatique français en ce qui concerne la responsabilité de protéger (R2P) - que la France promeut et défend officiellement - et une forte résistance dans les armées vers ces concepts que l’on peut attribuer au traumatisme rwandais, ou, plus pragmatiquement parce qu'il nécessite de déployer une force d’occupation sur le terrain remplissant des rôle de police et de sécurité civile. La majeure partie des officiers de terrain considère que les interventions guidées par ces principes ne sont pas réalisables.

Des écarts entre les idéaux et les ressources potentielles qui ont amené l’amiral Guillaud, l'ancien CEMA, à dire: «Nous ne serons pas en mesure d'en faire autant; [...] Nous aurons à faire des choix et parfois celui d'intervenir d'une manière plus modeste [...] et d’être agile" 

Les forces armées ont déjà appris la valeur de la rusticité, on s’attend désormais à ce qu’elles deviennent agiles pour combler l'écart entre les moyens et les objectifs. Le livre blanc a parfaitement modéliser ce concept qui, malheureusement, ne résiste pas à la réalité opérationnelle de 2014. La cour des comptes a, en effet, estimé que "L'exercice 2014 devrait être marqué par un fort dépassement de la prévision", Pourquoi ? "D'une part, la provision pour 2014 a été assez fortement réduite à 450 millions d'euros en LFI ce qui réduit d'autant le financement des OPEX, déjà insuffisant depuis 10 ans. D'autre part, les dépenses d'OPEX devraient rester à un niveau élevé", a-t-elle expliqué.

Le vaste monde…

Mais un constat s’impose : si des opérations de moyenne envergure (SERVAL et SANGARIS) s’avèrent difficiles, il semble assez évident que les opérations pour faire face à un ennemi lourdement armé (type Guerre du Golfe 1 – Confrontation en Europe de type guerre des Balkans) sera encore plus difficile. Ces « grandes opérations de coercition », selon le livre blanc, auront besoin de six mois de préparation, et ne pourraient avoir lieu qu’au sein d’une coalition. En termes de capacités pour une telle opération, l’armée de terre pourraient mobiliser jusqu'à 15 000 hommes. 

Le CDG, deux BPC, 3 à 4 frégates de rang 1, un SNA, la presque totalité des moyens C4ISR, et des unités de soutien (train et génie). Comparé aux troupes britanniques déployées en Irak (46 000 soldats), ou même à la participation française dans la première guerre du Golfe (16 000 troupes, 55 AMX30B2), c’est bien d’un déclassement sévère auquel nous assistons.

Dans un contexte où la France est le moins mauvais des élèves européens en termes de volume de son budget de défense avec de 1.5% du PNB (pensions comprises) en 2014, où  les budgets de défense combinés de la Chine, la Corée du Sud, de l'Inde et du Japon sont plus important que l’ensemble de l’Union Européenne (certains membres de l'UE ayant déjà des budgets de défense inférieurs à 1% de leur produit national brut), ce n’est plus de capacité mais bien de volonté politique dont il est question. Le cas de l’Union rejoignant celui de l’OTAN puisque quelques membres refusent de contribuer à certaines opérations de l'Organisation en dépit des obligations du traité. Les futures opérations de coercition pourraient alors dépendre d'une «coalition des réticents et des incapables », si on ajoute cela au annonces de bascule de l’axe d’ des États-Unis de l’Europe vers l'Asie, il va falloir que les Européens acceptent et trouvent un moyen d’assurer eux même leur défense.

Cette tendance serait moins inquiétante en elle-même si la France et ses alliés n’étaient confrontés à l'émergence de stratégies Anti-Access/Aera-Denial (A2/AD). Nous ne disposons plus à l’heure actuelle de moyens SEAD[1], capacités indispensable à la conduite d’une opération majeure de coercition, et nous nous appuyons fortement sur les Etats-Unis pour nous fournir cette capacité. C’est inquiétant car des prévisions sérieuses démontrent que le manque de capacités SEAD peuvent à long terme conduire à une forme de "confinement de l'Europe", qui mettrait un terme à la capacité d’intervention militaire européenne (entendre France et Royaume-Uni) et ceci durablement en renforçant par effet miroir les capacités de défense et de contre-intervention des principaux opposants actuels et futurs de l’UE.

Si une telle tendance stratégique mondiale devait avoir lieu, les interventions françaises, déjà affaiblies par des budgets réduits seront de facto impossible. Cette tendance si elle s’avère pérenne érodera également la position diplomatique de la France car certains Etats alliés et/ou partenaires ne manqueront pas de s’interroger sur la capacité de la France à les épauler ou les protéger. Le cœur de la question est de savoir de combien peut-on réduire les dépenses sans mettre en danger notre système de défense globale et notre capacité à mettre en place de nouvelles capacités et technologies de défense dans les 10 ans à venir. Selon l'Institut français des relations internationales (IFRI), si augmentation de budget n’a pas lieu d’ici à 2 ans la France perdra sa capacité militaire actuelle. 

Il y a donc urgence à une sanctification légale du budget minium des armées non en points de PIB mais en volume financier afin de permettre à nos armées de se doter d’équipement de nouvelle génération et à notre BITD de maintenir ses capacités de R&D et ses compétences industrielles.

Bien que la France ne soit pas seul pays dont le l’outil militaire fait l'objet de compressions budgétaires, nous sommes confrontés à un défi spécifique : notre position mondiale et le reste de notre influence diplomatique est directement lié à noter puissance militaire et à nos capacités d’interventions extérieures. Alors que pour un pays comme l’Allemagne les réductions de budgets militaires ont des conséquences limitées en termes d'influence diplomatique, ce n'est pas le cas pour la France. Si cette capacité disparaît, la puissance française disparaitra d'autant plus vite que notre soft power est inexistant.

Eric Lambert
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